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[serrurerie]
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ques architectes ont trouvé préférable — plutôt que de chercher sans cesse des formes raisonnées et nouvelles — d’admettre un certain goût prétendu classique, une sorte de formulaire applicable à toute œuvre et à toute matière (ce qui simplifiait singulièrement leur travail), ont déclaré que toutes ces recherches, résultat de l’expérience, de l’étude et d’une fabrication perfectionnée, n’étaient qu’un produit du caprice ou de l’ignorance. Il n’est pas besoin de dire que cette façon d’apprécier toute une face de l’art de l’architecture et les industries qui s’y rattachent, devait être fort prisée par la classe nombreuse des gens qui ne veulent pas se donner trop de peine. Aussi la serrurerie du moyen âge fut-elle fort mal vue pendant ces derniers siècles, et l’on trouva de bon goût de reproduire en fer (comme on peut le voir à la grille de la cour du Mai à Paris) des ordres avec leurs chapiteaux, leurs entablements, leurs stylobates, etc. ; le tout fabriqué en dépit de la matière et des moyens qu’elle impose à ceux qui en connaissent les qualités et prétendent les utiliser.

Il y a, dans les assemblages de la serrurerie du moyen âge, un sujet inépuisable d’enseignement. Par des motifs faciles à saisir, on préfère aujourd’hui ne point appliquer le raisonnement aux choses qui touchent à l’art de l’architecture ; ce sont du moins les principes que professent beaucoup d’artistes. Il est certain qu’à leurs yeux, ces artisans du moyen âge, en raisonnant ainsi ce qu’ils faisaient, en prenant toujours la structure comme motif de décoration, étaient dans la mauvaise voie. Économes de la matière, ils arrivaient au but par les moyens les plus vrais. Loin de cacher ces moyens, ils les montraient, s’en faisaient honneur. En effet, quand un moyen est simple, pratique, il n’y a pas lieu de le cacher ; si ce n’est, au contraire, qu’un expédient étranger à la nature de la matière mise en œuvre, qui ne présente pas de garanties sérieuses de solidité, qui exige l’emploi de ressources hors de proportion avec le résultat, on ne saurait trop le dissimuler, et c’est ce qu’on fait habituellement dans notre serrurerie fine de bâtiment.

Nous disions tout à l’heure que les serruriers du moyen âge, lorsqu’ils avaient à fabriquer des grilles d’une certaine étendue, procédaient par une suite de panneaux s’embrevant dans des montants. Nous ne savons si ces artisans avaient observé et calculé les effets de la dilatation du fer ; il n’en est pas moins certain que par l’emploi de cette méthode on évitait les inconvénients qui résultent de la mise en place de grandes parties de grilles solidaires. Alors celles-ci, s’allongeant par la chaleur ou se retraitant par le froid, causent des mouvements incessants, dont le moindre danger est de briser les scellements, de faire gauchir les montants, d’empêcher les battements des parties ouvrantes de fonctionner, de fatiguer les assemblages. On croit parer à ces inconvénients au moyen de tenons et de goupilles ou de boulons gais, c’est-à-dire posés en laissant du jeu. Mais cela ne peut se faire qu’aux dépens de la solidité de l’ouvrage. Au contraire, le système de grilles posées par panneaux laissait aux fers