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tendent régenter l’art de l’architecture sans avoir jamais fait poser une brique, décrètent du fond de leur cabinet que ces artistes ayant passé une partie de leur existence à ce labeur périlleux, pénible, dont la plupart du temps on ne retire ni grand honneur, ni profit, ne sont pas des architectes ; s’ils cherchent à les faire condamner à une sorte d’ostracisme et à les éloigner des travaux à la fois plus honorables et plus fructueux, et surtout moins difficiles, leurs manifestes et leurs dédains seront oubliés depuis longtemps, que ces édifices, une des gloires de notre pays, préservés de la ruine, resteront encore debout pendant des siècles, pour témoigner du dévouement de quelques hommes plus attachés à perpétuer cette gloire qu’à leurs intérêts particuliers.

Nous n’avons fait qu’entrevoir d’une manière générale les difficultés qui se présentent à l’architecte chargé d’une restauration, qu’indiquer, comme nous l’avons dit d’abord, un programme d’ensemble posé par des esprits critiques. Ces difficultés cependant ne se bornent pas à des faits purement matériels. Puisque tous les édifices dont on entreprend la restauration ont une destination, sont affectés à un service, on ne peut négliger ce côté d’utilité pour se renfermer entièrement dans le rôle de restaurateur d’anciennes dispositions hors d’usage. Sorti des mains de l’architecte, l’édifice ne doit pas être moins commode qu’il l’était avant la restauration. Bien souvent les archéologues spéculatifs ne tiennent pas compte de ces nécessités, et blâment vertement l’architecte d’avoir cédé aux nécessités présentes, comme si le monument qui lui est confié était sa chose, et comme s’il n’avait pas à remplir les programmes qui lui sont donnés.

Mais c’est dans ces circonstances, qui se présentent habituellement, que la sagacité de l’architecte doit s’exercer. Il a toujours les facilités de concilier son rôle de restaurateur avec celui d’artiste chargé de satisfaire à des nécessités imprévues. D’ailleurs le meilleur moyen pour conserver un édifice, c’est de lui trouver une destination, et de satisfaire si bien à tous les besoins que commande cette destination, qu’il n’y ait pas lieu d’y faire des changements. Il est clair, par exemple, que l’architecte chargé de faire du beau réfectoire de Saint-Martin des Champs une bibliothèque pour l’École des arts et métiers, devait s’efforcer, tout en respectant l’édifice et en le restaurant même, d’organiser les casiers de telle sorte qu’il ne fût pas nécessaire d’y revenir jamais et d’altérer les dispositions de cette salle.

Dans des circonstances pareilles, le mieux est de se mettre à la place de l’architecte primitif et de supposer ce qu’il ferait, si, revenant au monde, on lui posait les programmes qui nous sont posés à nous-mêmes. Mais on comprend qu’alors il faut posséder toutes les ressources que possédaient ces maîtres anciens, qu’il faut procéder comme ils procédaient eux-mêmes. Heureusement, cet art du moyen âge, borné par ceux qui ne le connaissent pas à quelques formules étroites, est au contraire, quand on le pénètre, si souple, si subtil, si étendu et libéral dans ses