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[serrurerie]
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que l’étendue et la puissance de ces ressources rendent l’esprit du constructeur paresseux, s’il s’agit de combiner des ouvrages de serrurerie en raison de la matière et des principes de structure que sa nature impose forcément.

Les habitudes introduites dans l’architecture, depuis le XVIIe siècle, par le faux goût classique, nous ont appris, avant toute chose, à mentir. Simuler la pierre ou le bois avec le plâtre, le fer forgé avec la fonte, la charpente de bois en employant la ferronnerie ; dissimuler les nécessités de la structure ; torturer toute matière pour lui donner une apparence qui ne lui convient point, c’est à peu près ce en quoi consiste l’art de l’architecte pour un certain nombre d’artistes et pour une grande partie du public ; et il faut avouer que les développements de l’industrie appliquée aux travaux de bâtiment favorisent ces supercheries. Ayant moins de ressources matérielles à leur disposition, nos artisans du moyen âge étaient bien forcés de demander à leur intelligence ce que ne pouvait leur fournir une industrie dans l’enfance. Au total, l’art n’y perdait pas. L’œuvre de pacotille, vulgaire quant à la forme, vulgaire quant à la conception, n’existait pas et ne pouvait exister. Elle était simple ou riche, pauvre ou luxueuse, mais elle était toujours le produit d’un effort de l’intelligence développée en raison de l’objet propre, et cet effort se reproduisait chaque jour, et chaque jour avec un perfectionnement ou une plus complète expérience. Il ne s’agissait pas de livrer à une machine un morceau de matière qu’elle rend brutalement sous la même forme, il fallait que l’intelligence et la main de l’artisan se missent à l’œuvre ; et ne fût-ce que pour obéir à ce sentiment naturel à l’homme qui le pousse à chercher sans cesse le mieux, cet artisan, même en se copiant, introduisait sans cesse dans son œuvre, soit une idée plus complète, soit un calcul plus judicieux, soit une exécution plus logique, plus simple et plus près de la perfection. Nous ne demandons pas qu’on brise les machines, mais nous voudrions qu’elles ne prissent pas la place de l’intelligence.

Plus la matière est revêche, plus, lorsque l’homme la travaille, doit-elle s’empreindre de la marque de sa volonté. Elle n’exprime la puissance de cette volonté que si l’artisan tient compte des propriétés mêmes de cette matière, que s’il la rend docile en manifestant clairement ces propriétés. Si l’homme, à force d’industrie, parvient à nous faire prendre un morceau de fer pour un morceau de bois, et, du détail à l’ensemble, une œuvre de ferronnerie ou de charpente pour une œuvre de maçonnerie, nous disons qu’il emploie mal son intelligence, et qu’il abuse de la matière au lieu de l’utiliser.

Dans tous les exemples de serrurerie présentés plus haut, on a pu observer que jamais les pentures, les attaches ou entrées des serrures, etc., ne sont entaillées dans la menuiserie. Le bois reste intact, la serrurerie se pose à la surface sans l’entamer. Il y avait dans cette méthode un avantage au point de vue de la fabrication, c’est qu’il fallait que ces ou-