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nus : l’art intervenait. Dans les plis enfoncés, dans les parties qui sont opposées à la lumière, ou qui pouvaient accrocher des reflets trop brillants, on reconnaît l’apposition de glacis obscurs. Des redessinés vigoureux en noir ou en brun donnent du relief au modelé, de la vie aux nus. Ainsi dans les fonds des plis de robes bleu clair, le peintre a posé un glacis roux ; d’autres fois a-t-on fait valoir des tons jaune pur, dans la lumière, par des glacis froids obtenus par du noir. Des artistes qui ont fait les admirables vitraux des XIIe et XIIIe siècles, avaient une connaissance trop parfaite de l’harmonie des couleurs pour ne pas appliquer cette connaissance à la coloration de la sculpture. Et, à vrai dire, cela n’est point aussi facile qu’on le pourrait croire tout d’abord. Les tentatives en ce genre que l’on a faites de notre temps prouvent que la difficulté en pareil cas est grande, au contraire, quand on veut conserver à la sculpture sa gravité, son modelé, et que l’on prétend obtenir autre chose que des poupées habillées. L’harmonie des tons entre pour beaucoup dans cette peinture d’objets en relief, et cette harmonie n’est pas la même que celle adoptée pour les peintures à plat. Ainsi, par exemple, dans les peintures à plat, les artistes du moyen âge mettent rarement l’un à côté de l’autre deux tons de couleurs différentes, mais de même valeur ; c’est une ressource dont ils n’usent qu’avec parcimonie. Dans la sculpture, au contraire, à dater du XIIIe siècle, ces artistes cherchent des tons de valeurs pareilles, se fiant d’ailleurs au modelé du relief pour empêcher qu’ils ne gênent le regard. En effet, les ombres naturelles neutralisent la dissonance qui résulte de la juxtaposition de deux tons d’égale valeur, et ces égales valeurs donnent aux reliefs une unité, une grandeur d’aspect, que des tons de valeurs très-dissemblables leur enlèveraient. Cette étude peut être faite sur quelques monuments colorés qui existent encore, comme par exemple le retable de la chapelle de Saint-Germer déposé au musée de Cluny, des tombeaux de l’abbaye de Saint-Denis, des parties des bas-reliefs de Notre-Dame d’Amiens (portail occidental), de Notre-Dame de Reims (porte nord, masquée). C’est surtout dans la grande sculpture extérieure que l’on peut constater ce système de coloration pendant la première moitié du XIIIe siècle. Une statue est-elle revêtue d’une robe et d’un manteau, le peintre, adoptant le bleu pour la robe et le pourpre pour le manteau, a préparé ses deux tons de manière qu’ils présentent à l’œil une même valeur. Chaque couleur a une échelle chromatique de nuances ; en supposant pour chaque couleur une échelle de cinq nuances, l’artiste, pour une même figure, adoptera, par exemple, les tons bleu et pourpre no 3, mais bien rarement no 2 et no 3. Ainsi ces colorations laissent-elles à la sculpture sa grandeur. Plus tard, au contraire, vers la fin du XIIIe siècle, les peintres de la sculpture cherchent les oppositions. Ils poseront sur une même statue un ton rose et un ton bleu foncé, vert blanchâtre et pourpre sombre. Aussi la sculpture peinte, à dater de cette époque, perd-elle la gravité monumentale qu’elle avait conservée pendant la première moitié du XIIIe siècle. On ne