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[sculpture]
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Jusque vers le milieu du XIIIe siècle, si la statuaire échappe en France au naturalisme absolu, les diverses écoles ne s’avancent pas toutes d’un pas égal ; quelques-unes maintiennent assez tard une sorte d’archaïsme, tandis que celle de l’Île-de-France se jette hardiment dans l’étude de plus en plus exacte de la nature. Il est même certains édifices dans lesquels, probablement, on employait de vieux sculpteurs, qui possèdent une statuaire relativement arriérée ou empreinte d’un style qui n’était plus admis au moment de leur construction. Ainsi, la cathédrale de Laon, dont la façade ne peut être antérieure à 1200, même dans la construction de ses œuvres basses, montre sur ses portes des bas-reliefs ou statues qui ont conservé un caractère archaïque bien prononcée. Les artistes, auteurs de ces ouvrages, sont pénétrés des exemples de peintures grecques. Il y a dans l’agencement des figures, dans les compositions, une recherche de la symétrie qui rappelle les vignettes des manuscrits grecs. Cette influence se montre même dans le choix des sujets, dans les draperies, dans quelques accessoires tels que sièges, dais, etc. À Notre-Dame de Reims, la porte nord du transsept, aujourd’hui masquée, est toute empreinte de ce style des peintures grecques, bien que cette porte soit postérieure de quelques années à l’an 1200. Rien de pareil à Paris ; le statuaire recherche l’étude de la nature dès 1200, ne veut plus avoir affaire aux traditions romanes ou byzantines. Un fait indique combien l’école nouvelle réagissait contre ces traditions. En faisant des fouilles devant la porte centrale de Notre-Dame de Paris, on a trouvé une certaine quantité de fragments d’un bas-relief central représentant le Christ glorieux au jour du jugement, comme celui que l’on voit aujourd’hui : mais cette sculpture est empreinte du style archaïque du XIIe siècle ; d’ailleurs la pierre en est toute fraîche, sans aucune altération produite par le temps. Ce bas-relief avait été supprimé peu après avoir été achevé, pour être remplacé par le sujet actuel, dû à des artistes de la nouvelle école. Et en effet, lorsque l’on considère cette sculpture, composé de cinq figures, le Christ, deux anges, la Vierge et saint Jean, on remarque dans le faire de ces statues colossales des différences notables. Le Christ et un des anges, celui qui porte les clous, appartiennent déjà à l’école penchant vers le naturalisme, tandis que la Vierge, le saint Jean et l’ange qui porte la croix sont encore des sculptures archaïques ; cependant il était impossible matériellement d’introduire les deux premières statues au milieu des trois autres. Elles ont dû être posée ensemble.

De toutes les provinces, la Champagne marche bien vite dans la voie nouvelle, et la statuaire du portail de Notre-Dame de Reims en est la preuve. Le naturalisme a déjà fortement pénétré cette statuaire qui date de 1240 environ. Cependant, à propos de ce portail, il faut signaler des indécisions que l’on ne trouve point dans l’école de l’Île-de-France. Quelques figures colossales, notamment celles qui, à la porte de droite, représentent la Visitation, sont inspirées comme composition et exécution des draperies, de la statuaire romaine, dont il existait d’ailleurs à