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tures, les bourrelets réservés pour l’assemblage se multiplient, il faut passer sur tout cela la lime, le burin, contenter les parties faibles ; si bien que la statue fondue ne reproduit qu’assez imparfaitement le modèle du maître. Nous ne voyons pas trop ce que l’art a gagné à cela, si ce n’est de permettre au premier modeleur venu de faire faire un bronze par un fondeur.

Mais quand il faut que l’artiste qui veut couler une statue en bronze, fasse lui-même le noyau de terre de sa figure, — car ce noyau est la partie essentielle, — veille à ce que ce noyau façonné en argile et paille hachée soit bien séché ; quand, après cela, il faut revêtir cette grande maquette d’une couche de cire dont l’épaisseur doit être exactement calculée ; modeler cette cire pour obtenir les finesses de la forme ; puis, enfin, après avoir ménagé des évents et des jets, faire recouvrir tout cela d’une épaisse couche de terre préparée exprès, la bien envelopper et cercler, chauffer l’ensemble pour que la cire s’échappe en fondant, et enfin, après avoir combiné le mélange de ses métaux et avoir fait faire un fourneau, couler la matière en fusion dans le vide qu’occupait la cire : certes, alors, il y a là tout un labeur pénible, chanceux, une suite de calculs et de combinaisons, une idée arrêtée dès le commencement du travail et suivie jusqu’au bout sans hésitation. Que le génie de nos statuaires ne se prête pas à cette dure besogne, nous le voulons bien ; mais au total l’art y a perdu, car les fontes du moyen âge, aussi bien que celles de l’antiquité et de la renaissance, sont supérieures comme pureté et légèreté à celles qui sortent aujourd’hui de nos ateliers. En Italie, en Allemagne, en France, pendant le moyen âge, on fit d’admirables fontes, et ces sculpteurs-fondeurs (car il fallait être l’un et l’autre) français, allemands, italiens, ne croyaient pas faire une chose extraordinaire lorsqu’ils avaient réussi à couler une grande pièce. Ils ne croyaient pas utile, pour faire valoir leurs œuvres, d’occuper toute une ville, et d’écrire cent pages de mémoire, comme le fit plus tard Benvenuto Cellini à propos de son Persée. Ils avaient tort, et l’exemple de ce maître poseur, pour nous servir d’une expression récente qui s’applique si bien à l’homme, prouve que le bruit, en pareil cas, s’il ne profite pas à l’art, contribue à la renommée de l’artiste.

On ne cessa jamais de fondre des objets en bronze dans les Gaules, et du temps de César déjà nos ancêtres étaient habiles à ouvrer les métaux. Les rapports fréquents avec l’Orient, à dater du XIe siècle, apportèrent des perfectionnements dans cette industrie si ancienne en France, et il ne faut point être surpris de trouver des fontes du XIIe siècle, qui surpassent en beauté tout ce qu’on a su faire depuis. Tel est l’admirable candélabre de cette époque, qui faisait partie de la collection Soltykoff, et qui fut acheté pour l’Angleterre. Cet objet, fondu d’un seul jet, sans une pièce rapportée, présente une suite d’enroulements et de figurines enchevêtrés, le tout ajouré et d’une admirable pureté de style et d’exécution. Il provenait de la cathédrale du Mans.