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chitecture, et avec quelle adresse les ouvriers interprétaient les conceptions de leurs patrons.

Il existait alors plusieurs séries d’ouvriers façonnés à ce travail qu’aujourd’hui nous obtenons avec les plus grandes difficultés. Il y avait les tailleurs de pierre ordinaires, tâcherons, qui, sur le tracé de l’appareilleur, taillaient les pierres à parement simple ; des ouvriers plus habiles faisaient les profils avec moulures ; puis venaient les tailleurs d’images, qui taillaient et sculptaient les pièces comme celles que nous présente la figure 63. Mais tous ces ouvriers de mérite différent entendaient le trait, chose que nos sculpteurs d’aujourd’hui ne savent pas généralement. On a la preuve de cette façon de procéder : 1o par les marques de tâcherons, 2o par la nature de la taille ou du brettelage, qui diffère dans les trois cas. Les marques de tâcherons des profils, dans le même édifice, ne sont point celles des tâcherons de parement. Quant aux morceaux portant sculpture, la bretture est beaucoup plus fine, et surtout moins large ; puis ils sont dépourvus de signes. L’épannelage de ces morceaux était préparé par les tailleurs de pierre ordinaires, ce que démontrent certains fragments non sculptés et posés tels quels par urgence.

Il ne paraît pas que les tailleurs d’images se servissent de modèles ; car, dans les représentations de ces sortes de travaux, qu’on retrouve sur des vitraux, dans des vignettes de manuscrits et des bas-reliefs, on ne voit jamais de modèles figurés, mais des panneaux. D’ailleurs, ces sculpteurs ne répétant jamais exactement le même motif, il est évident qu’ils ne suivaient point un modèle. Dans des ornements courants mêmes, comme des feuilles ou crochets de bandeaux et corniches, chaque ornement est traité suivant la largeur de la pierre, et sur vingt feuilles, semblables comme type, il n’en est pas deux qui soient identiques.

Pour ces ornements courants, on voit comment on procédait. Un maître faisait une feuille, un crochet, un motif enfin, destiné à être répété sur chaque morceau ; puis, des ouvriers copiaient librement ce type. Cette méthode est dévoilée par la présence de morceaux exécutés entre tous avec une rare perfection et par des mains habiles. Lorsqu’il s’agissait de ces pièces exceptionnelles, comme de grands chapiteaux, ou des gargouilles, ou des compositions un peu compliquées, prenant une certaine importance, elles étaient confiées à ces maîtres tailleurs d’images. Beaucoup de sculptures de l’époque romane étaient faites sur le tas, c’est-à-dire après un ravalement ; ce qui est indiqué par des joints passant tout à travers les ornements et parfois même les figures. Mais l’école laïque repoussa cette méthode jusqu’au XVIe siècle, c’est-à-dire tant que les corporations conservèrent leur organisation intacte. Chaque ouvrier finissait l’objet qui lui était confié. Jamais un tailleur de pierre ou un tailleur d’images ne montait sur le tas. Il travaillait sur son chantier, terminait la pièce, qui était enlevée par le bardeur et posée par le maçon, qui seul se tenait sur les échafauds. On ne peut disconvenir qu’une pareille méthode dût donner aux contre-maîtres plus de facilités