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l’œil, elle perd une grande partie de sa valeur au sommet des édifices. Augmentant les dimensions des monuments au commencement du XIIIe siècle, les artistes prennent, pour leurs profils, pour leurs ornements, une échelle plus grande. C’est alors que l’on voit s’épanouir la flore sculpturale, et c’est encore par l’observation de la nature que les sculpteurs arrivent à satisfaire à ces exigences d’échelle. Car il est à remarquer que pour faire grand — nous disons grand, et non point gros — en ornementation sculptée, c’est à la nature seulement que l’on peut recourir. Toute ornementation de convention, comme est la plus grande partie de la sculpture romaine et de la sculpture romane, ne peut être grandie impunément. En augmentant l’échelle, on tombe alors dans la lourdeur, dans le difforme. Nos artistes modernes ont le sentiment de cette difficulté ; aussi l’ornementation pseudo-romaine qu’ils adoptent habituellement n’est jamais grande d’échelle, et les sculptures placées à 40 mètres du sol reproduisent le parti, le modelé et l’échelle des ornements qui décorent des soubassements.

En recourant à la flore, les maîtres d’autrefois se laissaient la ressource, non-seulement de varier à l’infini leurs compositions sans sortir de l’unité, mais d’adopter l’échelle convenable en raison de la place.

Il faut voir comme ils savent, avec une même feuille, par exemple, composer une frise de 20 ou de 60 centimètres de hauteur, et comme ils trouvent dans la nature elle-même les éléments convenables en raison des dimensions ou des situations différentes. À ce point de vue, la sculpture d’ornement de la façade de Notre-Dame de Paris est une œuvre de génie, bien que cette façade n’ait pas été bâtie d’un seul jet. En s’élevant sur l’édifice, l’ornementation grandit d’échelle et se simplifie singulièrement quant à la façon d’interpréter la flore ; car nous observerons que par une loi qui ne souffre pas d’exceptions pendant la première moitié du XIIIe siècle, plus l’échelle de la sculpture d’ornement est grande, plus les détails sont sacrifiés aux masses. Nous avons fait cette observation déjà à propos de la statuaire. L’ornement petit, placé près de l’œil, est très-détaillé, très-finement modelé ; l’ornement colossal est simple, large, les masses sont accentuées, les saillies vivement senties.

La façade occidentale de la cathédrale d’Amiens, dans ses parties anciennes, fournit de beaux exemples de cette entente des effets. Le bandeau placé sous la galerie des Rois à une hauteur de 28 mètres au-dessus du parvis, et terminé par un rinceau feuillu dont la figure 61 donne un fragment, ce bandeau a 30 centimètres de hauteur. La frise supérieure de la même façade, sous le larmier, posée à 43 mètres au-dessus du sol, est décorée par une alternance de crochets et de larges feuilles de figuier (fig. 62), et cette frise a 60 centimètres de hauteur. On observera la différence de composition et de modelé entre ces deux ornements. Le premier, délicatement modelé, fourni de détails, est encore assez près de l’œil pour permettre d’en saisir toutes les parties ; le second, placé au sommet d’une large façade, d’une dimension plus grande, est remar-