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monument qu’ils voyaient. D’un autre côté, quelques hommes d’étude, emportés par trop de zèle, sont tombés dans un dogmatisme dépourvu de preuves et hérissé d’assertions tranchantes, moyen de rendre incrédules ceux qu’on prétend convertir. Mais malgré ces obstacles, inhérents à toute tentative nouvelle, les vrais travailleurs continuent leur œuvre avec patience et modération. Les vérités fondamentales sont acquises ; la science existe, il ne s’agit plus que de la consolider et de l’étendre, en dégageant quelques notions encore embarrassées, en achevant quelques démonstrations incomplètes. Il reste beaucoup à faire ; mais les résultats obtenus sont tels qu’à coup sûr le but doit être un jour définitivement atteint. »

Il nous faudrait citer la plus grande partie de ce texte pour montrer combien son auteur s’était avancé dans l’étude et l’appréciation de ces arts du moyen âge, et comme la lumière se faisait au sein des ténèbres répandues autour d’eux. « C’est », dit M. Vitet après avoir montré clairement que l’architecture de ces temps est un art complet, ayant ses lois nouvelles et sa raison, « faute d’avoir ouvert les yeux, qu’on traite toutes ces vérités de chimères et qu’on se renferme dans une incrédulité dédaigneuse »[1].

Alors M. Vitet avait abandonné l’inspection générale des monuments historiques ; ces fonctions, depuis 1835, avaient été confiées à l’un des esprits les plus distingués de notre époque, à M. Mérimée.

C’est sous ces deux parrains que se forma un premier noyau d’artistes, jeunes, désireux de pénétrer dans la connaissance intime de ces arts oubliés ; c’est sous leur inspiration sage, toujours soumise à une critique sévère, que des restaurations furent entreprises, d’abord avec une grande réserve puis bientôt avec plus de hardiesse et d’une manière plus étendue. De 1835 à 1848, M. Vitet présida la commission des monuments historiques, et pendant cette période un grand nombre d’édifices de l’antiquité romaine et du moyen âge, en France, furent étudiés, mais aussi préservés de la ruine. Il faut dire que le programme d’une restauration était alors chose toute nouvelle. En effet, sans parler des restaurations faites dans les siècles précédents, et qui n’étaient que des substitutions, on avait déjà, dès le commencement du siècle, essayé de donner une idée des arts antérieurs par des compositions passablement fantastiques, mais qui avaient la prétention de reproduire des formes anciennes. M. Lenoir, dans le Musée des monuments français, composé par lui, avait tenté de réunir tous les fragments sauvés de la destruction, dans un ordre chronologique. Mais il faut dire que l’imagination du célèbre conservateur était intervenue dans ce travail plutôt que le savoir et la critique. C’est ainsi, par exemple, que le tombeau d’Héloïse et d’Abélard, aujourd’hui transféré au cimetière de l’Est, était composé avec des arcatures et colonnettes provenant du bas côté de l’église abbatiale de

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