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[sculpture]
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Dans le rinceau de Sens, à côté de l’observation de la nature, on sent encore comme un dernier reflet de l’influence orientale. Les détails, malgré l’entente parfaite de la composition, sont trop multipliés, et cette ornementation conviendrait plutôt à du métal fondu et ciselé qu’à de la pierre. Le sentiment de l’échelle, de la grandeur, n’est pas encore développé ; on sent la recherche de l’artiste tout entier à son œuvre, mais qui ne reçoit pas encore l’impulsion supérieure propre à faire concourir tous les détails d’un édifice à un effet d’ensemble.

Du moment que la sculpture d’ornement n’était plus un art tout de convention, reproduisant des types traditionnels ou enfantés par des réminiscences d’arts antérieurs, qu’elle allait puiser ses inspirations dans la flore, une harmonie plus parfaite pouvait s’établir entre les détails et l’ensemble. L’identité de nature des éléments constitutifs donnait aux artistes des facilités nouvelles pour obtenir cette harmonie cherchée vainement par les diverses écoles pendant les deux premiers tiers du XIIe siècle. L’esprit contenu et ennemi de toute exagération des artistes de l’Île-de-France était d’ailleurs propre à profiter des ressources que fournissait le recours aux productions végétales. C’est bien dans ce centre futur de la nation française que se développe avec rapidité ce nouvel art de la sculpture décorative, dont nous avons fait ressortir l’influence à l’article Flore, et dont on ne retrouve guère d’exemple aussi complet que dans l’art de l’antique Égypte.

Il semble que l’école laïque française de la fin du XIIe siècle veuille en finir avec les traditions accumulées pendant la période romane. En peu d’années, tout ce qui n’est point inspiré par la flore dans la sculpture d’ornement disparaît : plus de perles, plus de ces imitations de passementeries et d’entrelacs, plus de billettes, plus de rangées de ces feuilles d’eau imitées des monuments antiques. La flore, et la flore locale, domine désormais et est le point de départ de l’école. S’il y a des résistances à cet entraînement, elles sont si rares, si apparentes, qu’elles ne font que confirmer l’impulsion donnée. Ce sont évidemment des œuvres d’artistes attardés. Ainsi, bien que le chœur de la cathédrale de Senlis n’ait été construit que de 1150 à 1165 ; qu’à cette époque déjà, à Sens, à Noyon, les sculpteurs cherchassent à s’inspirer de la flore, on peut reconnaître, dans la sculpture de ce chœur de Senlis, le travail d’artistes ne s’étant pas encore pénétrés des idées nouvelles alors. La sculpture des chapiteaux des chapelles et du sanctuaire est presque byzantine (fig. 53)[1], sinon par la forme générale, au moins par les détails. C’est dans le chœur de Notre-Dame de Paris, commencé en 1163 et achevé avant 1190, que la nouvelle école semble avoir admis pleinement ce nouveau principe de sculpture décorative. La flore des champs est le point de départ, mais elle prend un aspect monumental, et le sculpteur ne se borne pas à une imitation réelle ; il compose, il recherche de préférence les bourgeons des plus petites

  1. L’un des chapiteaux des piles cylindriques du chœur.