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la plupart des chapiteaux et culs-de-lampe, des fragments arrachés à ces villes gréco-romaines du Haouran. Dans cette voie d’imitation, ou d’interprétation plutôt, on ne pouvait aller plus loin sans tomber dans les pastiches ou la monotonie, car cette ornementation gréco-romaine, de même que l’ornementation grecque, son aïeule, ne brille pas par la variété. L’école clunisienne fit donc un temps d’arrêt, et chercha les éléments nouveaux qui lui manquaient dans l’amas de traditions usées par elle. Ces éléments, elle les trouva dans les végétaux de ses champs ; elle pensa qu’au lieu d’imiter ces feuillages de convention attachés sur les frises et les chapiteaux de la Syrie, au lieu d’essayer de les modifier suivant le goût de l’artiste, il serait mieux de prendre les plantes qui croissaient dans la campagne, et d’essayer de les mettre à la place de la flore traditionnelle qu’elle reproduisait sans cesse avec plus ou moins d’adresse et de charme. Désormais cette école, rompue aux difficultés du métier, habile de la main, grâce à ce long apprentissage, était capable de rendre avec délicatesse ces plantes qui allaient remplacer l’ornementation romane à bout d’invention ou d’imitation. Aussi ses essais sont des coups de maître. Vers 1160, on ouvrit dans la salle capitulaire de Vézelay, bâtie depuis dix ans, trois arcades donnant sur le cloître. Ces trois arcades sont décorées de chapiteaux et d’archivoltes sculptés dont rien n’égale la souplesse et l’élégance. La forme générale de ces chapiteaux rappelle encore la forme romane, mais les détails imités de la flore des champs sont composés avec une grâce, une délicatesse de modelé que la main la plus exercée atteindrait difficilement.

Voici (fig. 46) un fragment de ces groupes de chapiteaux taillés dans de la pierre qui a la dureté et la finesse de grain du marbre. Ces sculpteurs n’avaient pas été loin pour chercher leur modèle d’ornement. Ils avaient cueilli quelques tiges d’ancolie.

Ce morceau d’archivolte (fig. 47) appartenant à la même construction, d’un si beau caractère, et ces chapiteaux, indiquent assez les progrès que l’école clunisienne avait faits en recourant à la nature dans la composition des ornements. La tradition romane n’apparaît là que dans l’ensemble de la composition et dans l’aspect monumental donné à ces feuillages inspirés par la flore plutôt que copiés.

On observera cependant que les critiques de saint Bernard ont porté coup. Dans la sculpture de Vézelay innaturelle, comme disent les Anglais, jusqu’en 1132, année de la dédicace du narthex, sur les chapiteaux, la figure humaine, les animaux, les bestiaires, abondent. Déjà, dans la sculpture de la salle capitulaire, un peu plus moderne, ces figures disparaissent presque entièrement. L’ornementation si riche des trois arcs ouverts de 1160 à 1165 dans cette salle n’en porte plus trace. Déjà la flore naturelle s’est substituée à ces éléments aimés des sculpteurs romans et, entre tous, des clunisiens. Mais l’architecture qui portait, à Vézelay, cette sculpture déjà naturelle, était encore toute romane ; elle ne devenait gothique, c’est-à-dire conçue d’après le système de struc-