Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 8.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[restauration]
— 17 —

passé comme une matière à exploiter à l’aide d’un monopole, et déclarant hautement que l’humanité n’a produit des œuvres bonnes à recueillir que pendant certaines périodes historiques par eux limitées ; qui prétendent arracher des chapitres entiers de l’histoire des travaux humains ; qui s’érigent en censeurs de la classe des archéologues, en leur disant : « Telle veine est malsaine, ne la fouillez pas ; si vous la mettez en lumière, nous vous dénonçons à vos contemporains comme des corrupteurs ! » On traitait ainsi, il y a peu d’années, les hommes passant leurs veilles à dévoiler les arts, les coutumes, la littérature du moyen âge. Si ces fanatiques ont diminué en nombre, ceux qui persistent n’en sont que plus passionnés dans leurs attaques, et ont adopté une tactique assez habile pour en imposer aux gens peu disposés à voir le fond des choses. Ils raisonnent ainsi : « Vous étudiez et vous prétendez nous faire connaître les arts du moyen âge, donc vous voulez nous faire revenir au moyen âge, et vous excluez l’étude de l’antiquité ; si l’on vous laisse faire, il y aura des oubliettes dans chaque violon et une salle de torture à côté de la sixième chambre. Vous nous parlez des travaux des moines, donc vous voulez nous ramener au régime des moines, à la dîme, nous faire retomber dans un ascétisme énervant. Vous nous parlez des châteaux féodaux, donc vous en voulez aux principes de 89, et si l’on vous écoute, les corvées seront rétablies. » Ce qu’il y a de plaisant, c’est que ces fanatiques (nous maintenons le mot) nous prodiguent l’épithète d’exclusif, parce que, probablement, nous n’excluons pas l’étude des arts du moyen âge et que nous nous permettons de la recommander.

On nous demandera peut-être quels rapports ces querelles peuvent avoir avec le titre de cet article, nous allons le dire. Les architectes, en France, ne se pressent pas. Déjà, vers la fin du premier quart de ce siècle, les études littéraires sur le moyen âge avaient pris un développement sérieux, que les architectes ne voyaient encore dans les voûtes gothiques que l’imitation des forêts de la Germanie (c’était une phrase consacrée) et dans l’ogive qu’un art malade. L’arc en tiers-point est brisé, donc il est malade, cela est concluant. Les églises du moyen âge, dévastées pendant la révolution, abandonnées, noircies par le temps, pourries par l’humidité, ne présentaient que l’apparence de grands cercueils vides. De là les phrases funèbres de Kotzebue, répétées après lui[1]. Les intérieurs des édifices gothiques n’inspiraient que la tristesse (cela est aisé à croire dans l’état où on les avait mis). Les flèches, percées à jour se détachant

  1. Voyez dans les Souvenirs de Paris en 1804, par Aug. Kotzebue (trad. de l’allemand, 1805), sa visite à l’abbaye de Saint-Denis. On voit poindre dans ce chapitre l’admiration romantique ou romanesque pour les vieux édifices. « En partant de ce lieu souterrain, dit l’auteur, nous remontâmes dans l’enceinte solitaire, où le temps commence maintenant à promener sa faux. Le vieillard (car il y a toujours un vieillard dans les ruines) se flatte de voir un jour restaurer cette abbaye ; il fonde cet espoir sur quelques mots échappés à Bonaparte. Mais comme ces réparations seraient extrêmement coûteuses, il ne faut pas y penser pour le moment… »