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combiner tous les rouages de son mécanisme de romanisation que nous en trouvons encore à chaque pas des pièces entières fonctionnant tant bien que mal, comme la vieille machine de Marly. Parmi ces rouages, les arts furent un des mieux constitués, monopole académique, protection immédiate du gouvernement sur les artistes, art officiel, centralisation des ouvrages d’art de toute la France entre les mains d’un surintendant, rien ne faillit à ce mécanisme que l’élément vital qui développe les arts, la liberté, l’affinité avec les goûts et les sentiments d’un peuple.

Au commencement du XIIe siècle, il n’y avait ni roi, ni seigneur, ni prélats qui pussent prendre ce pouvoir exhorbitant de confisquer le génie d’une nation au profit d’un organisme politique. Chaque province se développait suivant ses traditions, ses penchants, son esprit, acceptait les influences extérieures dans la mesure qui convenait à ses goût ou à ses sentiments ; et si dur qu’on veuille montrer le régime féodal, jamais il n’eût la prétention de contraindre les artistes à se soumettre à telle ou telle école d’art. La marque de cette indépendance de l’artiste se trouve sur les monuments mêmes ; n’est-ce pas à cela qu’ils empruntent leur charme le plus puissant ? Si, comme à l’époque gallo-romaine, nous voyons sur toute la surface du territoire français, sur mille monuments divers, le même chapiteau, la même composition décorative, le même principe de statuaire ou de sculpture d’ornement, la fatigue et l’ennui ne sont-ils pas la conséquence de cet état de choses ? On luttera de richesse, nous le voulons bien ; si l’on a mis sur tel édifice de Lyon pour 100 000 francs de sculpture, on en mettra pour 200 000 à Marseille. Nous aurons pour 200 000 fr. d’ennui au lieu d’en avoir pour 100 000 francs. Le moindre grain d’originalité ferait mieux notre affaire. Or, n’y a-t-il pas un grand charme à retrouver la trace des goûts de ces provinces diversement pourvues de traditions et d’aptitudes ? N’est-ce pas un plaisir très-vif, en parcourant les contrées habitées ou colonisées par les races grecques, de découvrir en Attique, dans le Péloponnèse, en Sicile, en Carie, en Ionie, en Macédoine et en Thrace, des expressions très-diverses de l’art grec ? N’est-ce pas une vraie satisfaction pour l’esprit en quittant les édifices romans du Berri, de trouver en Poitou, en Normandie ou en Languedoc des styles différents, des écoles variées, reflétant, pour ainsi dire, les génies divers de ces peuples. Dans chaque monument même, les masses contentées, ces chapiteaux de compositions diverses n’offrent-ils pas plus d’intérêt pour l’esprit et les yeux que ces longues files de chapiteaux romains, tous copiés sur le même moule. La symétrie, la majesté, l’unité, objectera-t-on, commandent cette répétition d’une même note. Pour l’unité, elle n’exclut nullement la variété, il n’y a pas, à proprement parler, d’unité sans variété ; quant à la symétrie et à la majesté, que nous importent ces qualités, purement de convention, si elles nous fatiguent et nous ennuient. L’ennui majestueux ou l’ennui tout court, c’est tout un.

Les Grecs des bas temps pensaient ainsi, car dans ces monuments de Syrie qu’ils nous ont laissés, à Sainte-Sophie de Constantinople, ils ad-