Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 8.djvu/193

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[sculpture]
— 190 —

séquent sur ses arts, qu’autant qu’il existe en dehors de ces faits purement politiques, des affinités de races ou tout au moins des relations d’intérêt. Les Romains ont possédé la Gaule pendant trois siècles, ils ont couvert ses provinces de monuments ; or, dès que le trouble des grandes invasions est passé, est-ce aux arts romains que le Gaulois recoure ? non, il va chercher ailleurs ses inspirations, ou plutôt il les retrouve dans son propre génie ravivé par un apport puissant de peuplades sorties du même berceau que lui.

On nous dit : « La langue française est dérivée du latin, donc nous sommes Latins. » D’abord, il faut reconnaître que nous avons passablement modifié ce latin ; que le génie de la langue française diffère essentiellement du génie de la langue latine ; puis, après une possession non contestée pendant trois siècles, le Romain avait eu le temps d’imposer sa langue, puisqu’il avait en main le gouvernement et l’administration. Le latin étant admis comme langue usuelle sur la surface des Gaules, on ne cessait pas de parler, ne fut-ce que pour se plaindre, dans ces contrées ravagées par des invasions, mais on cessait de bâtir, et surtout de sculpter et de peindre ; du Ve au VIIIe siècle on eut le temps d’oublier la pratique des arts. Cependant lorsqu’un état social passablement stable succède à ce chaos, lorsqu’on peut songer à bâtir des palais, des églises, des monastères et des maisons, lorsqu’on prétend les décorer, pourquoi donc ces populations gauloises ne prennent-elles pas tout simplement l’art romain où on l’avait laissé ? Pourquoi (surtout dans les choses purement d’art comme la sculpture) vont-elles s’inspirer d’autres éléments ? C’est donc qu’il y avait un génie local, à l’état latent, renouvelé encore, comme nous le disions tout à l’heure, par des courants de même origine, et que ce génie, à la première occasion, cherchait à se développer suivant sa nature. Ce n’est pas là une question d’ignorance ou de barbarie, comme on l’a si souvent répété, mais une question de tempérament.

Par instinct, sinon par calcul, ces artistes romans n’ont pas voulu se ressouder à l’art romain, ou du moins à l’art gallo-romain. Il serait étrange, en effet, que ces architectes et sculpteurs romans du commencement du XIIe siècle qui avaient autour d’eux, sur le sol gaulois, quantité de monuments gallo-romains, les aient négligés pour s’emparer avec avidité de l’art gréco-romain ou byzantin de l’Orient, dès qu’ils l’entrevoient, s’ils ne s’étaient pas sentis comme une sorte de répulsion instinctive pour le romain bâtard de la Gaule et une affinité pour le romain grécisé de l’Orient. C’était donc cet appoint grec qui les séduisait, qui leur était sympathique ? Avaient-ils tort ? Et le XVIIe siècle a-t-il eu raison en nous romanisant de nouveau par des motifs fort étrangers à l’art ? Qu’un souverain absolu comme Louis XIV ait trouvé commode d’étouffer le génie particulier à notre pays pour assurer, croyait-il, le pouvoir monarchique en France, on le conçoit sans peine, mais que le pays lui-même se rendit complice de cette prétention, voilà ce qui ne pouvait être. Louis XIV était cependant un grand roi, sinon un grand homme, et il sut si bien