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Si l’Européen en est arrivé à cette phase de l’esprit humain, que tout en marchant à pas redoublés vers les destinées à venir, et peut-être parce qu’il marche vite, il sente le besoin de recueillir tout son passé, comme on recueille une nombreuse bibliothèque pour préparer des labeurs futurs, est-il raisonnable de l’accuser de se laisser entraîner par un caprice, une fantaisie éphémère ? Et alors les retardataires, les aveugles, ne sont-ils pas ceux-là même qui dédaignent ces études, en prétendant les considérer comme un fatras inutile ? Dissiper des préjugés, exhumer des vérités oubliées, n’est-ce pas, au contraire, un des moyens les plus actifs de développer le progrès ?

Notre temps n’aurait-il à transmettre aux siècles futurs que cette méthode nouvelle d’étudier les choses du passé, soit dans l’ordre matériel, soit dans l’ordre moral, qu’il aurait bien mérité de la postérité. Mais nous le savons de reste ; notre temps ne se contente pas de jeter un regard scrutateur derrière lui : ce travail rétrospectif ne fait que développer les problèmes posés dans l’avenir et faciliter leur solution. C’est la synthèse qui suit l’analyse.

Toutefois ces scrutateurs du passé, ces archéologues, exhumant patiemment les moindres débris des arts qu’on supposait perdus, ont à vaincre des préjugés entretenus avec soin par la classe nombreuse des gens pour lesquels toute découverte ou tout horizon nouveau est la perte de la tradition, c’est-à-dire d’un état de quiétude de l’esprit assez commode. L’histoire de Galilée est de tous les temps. Elle s’élève d’un ou plusieurs échelons, mais on la retrouve toujours sur les degrés que gravit l’humanité. Remarquons, en passant, que les époques signalées par un grand mouvement en avant se sont distinguées entre toutes par une étude au moins partielle du passé. Le XIIe siècle, en Occident, fut une véritable renaissance politique, sociale, philosophique, d’art et de littérature ; en même temps quelques hommes aidaient à ce mouvement par des recherches dans le passé. Le XVIe siècle présenta le même phénomène. Les archéologues n’ont donc pas à s’inquiéter beaucoup de ce temps d’arrêt qu’on prétend leur imposer, car non-seulement en France, mais dans toute l’Europe, leurs labeurs sont appréciés par un public avide de pénétrer avec eux au sein des âges antérieurs. Que parfois ces archéologues laissent la poussière du passé pour se jeter dans la polémique, ce n’est pas du temps perdu, car la polémique engendre les idées et pousse à l’examen plus attentif des problèmes douteux ; la contradiction aide à les résoudre. N’accusons donc pas ces esprits immobilisés dans la contemplation du présent ou attachés à des préjugés parés du nom de tradition, fermant les yeux devant les richesses exhumées du passé, et prétendant dater l’humanité du jour de leur naissance, car nous sommes ainsi forcés de suppléer à leur myopie et de leur montrer de plus près le résultat de nos recherches.

Mais que dire de ces fanatiques, chercheurs de certains trésors, ne permettant pas qu’on fouille dans un sol qu’ils ont négligé, considérant le