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autres. Là l’ornementation se traîne dans une imitation grossière de l’art antique, et le renouvellement par l’apport byzantin n’est guère sensible. Mais en Saintonge, en Poitou, des influences qui ne sont dues ni aux traditions romaines, ni aux voyages d’outre-mer, apparaissent. Ces influences, nous les croyons, en partie, dues aux rapports forcés que ces contrées auraient eu, dès le Xe siècle, avec ces hordes que l’on désigne sous le nom de Normands, et qui ne cessèrent, pendant près de deux siècles, d’infester les côtes occidentales de la France. Ces Normands étaient certes de terribles gens, grands pillards, brûleurs de villes et de villas, mais il est difficile d’admettre qu’une peuplade qui procède dans son système d’invasion avec cette suite, cette méthode, qui s’établit temporairement dans les îles des fleuves, sur des promontoires, qui sait s’y maintenir, qui possède une marine relativement supérieure, qui déploie une sagacité remarquable dans ses rapports politiques, n’ait pas atteint un certain degré de civilisation, n’ait pas des arts, ou tout au moins des industries. Ces peuplades ont laissé en Islande quelques débris d’art fort curieux ; elles venaient du Danemark, des bords de la mer du Nord, de la Scandinavie, où l’on retrouve encore aujourd’hui des ustensiles d’un grand intérêt, en ce qu’ils ont avec l’ornementation hindoue des rapports frappants d’origine. Or, les manuscrits dits saxons qui existent à Londres et qui datent des Xe, XIe et XIIe siècles, manuscrits fort beaux pour la plupart, présentent un grand nombre de vignettes dont l’ornementation ressemble fort, comme style et composition, à ces fragments de sculpture dont nous parlons. Ces hommes du Nord, ces Saxons, hommes aux longs couteaux, paraissent appartenir à la dernière émigration partie des plateaux situés au nord de l’Inde. Qu’on les nomme Saxons, Normands, Indo-Germains, à tout prendre, ils sortent d’une même souche, de la grande souche aryenne. Les objets qu’ils ont laissés dans le nord de l’Europe, dans les Gaules, en Danemark, et qu’on retrouve en si grand nombre dans leurs sépultures, attestent tous la même forme, la même ornementation, et cette ornementation est, on n’en peut guère douter, d’origine nord-orientale. Or, les manuscrits dits saxons, exécutés avec une rare perfection, nous présentent encore cette ornementation étrange, entrelacement d’animaux qui se mordent, de filets, le tout peint des plus vives et des plus harmonieuses couleurs. Comme exemple, nous donnons ici (fig. 33), une copie de deux fragments de ces vignettes[1]. Pour qui a visité les monuments du Poitou et de la Saintonge, il est impossible de méconnaître les rapports qui existent entre la sculpture d’ornement des monuments de ces provinces et certaines peintures de manuscrits saxons, ou encore les objets ciselés que les peuplades émigrantes du nord ont laissés dans leurs sépultures. Ce fragment de corniche A de la façade de Notre-Dame-la-Grande, à Poitiers, et ce petit tympan B des arcatures ornées de statues sur la même façade (fig. 34), ne rappellent pas la sculpture pseudo-byzantine de

  1. IV Évang. lat. Sax. Bib. Cotton. Nero D. IV, p. 57. Brit. Museum, XIIe s.