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dans les arts, trouver un point de départ — ils renouvellent ces motifs flétris, par un apport juvénile, une verdeur qui apparaissent dans le tracé des lignes principales. Ce que nous leur avons vu faire dans la statuaire, ce compromis entre la tradition de l’école byzantine qui leur sert d’enseignement, et l’observation de la nature qui leur est propre, ils le font pour la sculpture d’ornement. Ce qu’ils mêlent à l’art oriental, c’est un élément vivace, jeune, et le produit qui résulte de ce mélange est plus fertile en déductions, plus logique que ne l’était l’original lui-même. Les conséquences rigoureuses de cette disposition intellectuelle des artistes français au XIIe siècle, ont été déjà expliquées à propos de la statuaire ; elles sont plus sensibles encore dans la sculpture d’ornement, celle-ci n’étant pas rivée à la reproduction d’une certaine forme, la figure humaine, et laissant un champ plus vaste à l’imagination ou à la fantaisie, si l’on veut.

Mais il est nécessaire, avant d’arriver à la grande transformation due aux artistes de la fin du XIIe siècle, de suivre notre revue des diverses écoles au moment où l’influence byzantine se fait sentir à la suite des premières expéditions en Orient. Cette influence est très-puissante en Languedoc, partielle en Provence ; elle prend un caractère particulier au centre des établissements de Cluny. La sculpture d’ornement de l’église de Vézelay n’a plus rien de romain comme celle de la Provence ; elle n’est pas byzantinisée, soit par l’influence des monuments de Syrie, soit par l’imitation d’objets et d’étoffes apportés d’Orient, comme celle du Languedoc ; elle s’inspire évidemment de l’art romano-grec, mais elle éclôt sur un sol si bien préparé que, dès ses premiers essais, elle atteint l’originalité. Nous avons cru voir, à la naissance de la statuaire clunisienne, une transposition de l’art de la peinture grecque ; il nous serait plus difficile d’expliquer comment la sculpture d’ornement byzantine atteint, du premier jet, presque à la hauteur d’un art original dans les grandes abbayes de Cluny. La peinture grecque n’a plus là d’influence, car la sculpture clunisienne du commencement du XIIe siècle ne la rappelle pas. L’ornementation romane du XIe siècle des provinces du centre et de l’est n’a rien préparé pour cette école clunisienne. L’influence byzantine, reconnaissable, semble être comme une graine semée dans une terre vierge, et produisant, par cela même, un végétal d’un aspect nouveau, plus grandiose, mieux développé et surtout d’une beauté de formes inconnue. Malheureusement les premiers essais de cette transformation nous manquent, puisque les parties les plus anciennes de l’église mère de Cluny ont été démolies. Nous ne pouvons la saisir que dans son entier développement, c’est-à-dire de 1095 à 1110, époque de la construction de la nef de l’église de Vézelay. Est-il une composition d’ornements mieux entendue, par exemple, que celle de ce triple chapiteau du trumeau de la porte centrale de cette église[1] ; chapiteau destiné à soutenir deux piédroits et

  1. Voyez Porte, fig. 51.