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vent de notre centre, beaucoup de personnes qui n’avaient jamais jeté les yeux sur la statuaire des cathédrales de Paris, d’Amiens ou de Chartres, ne voulant pas que leurs frais de déplacement fussent perdus, ont regardé avec quelque attention la statuaire de Strasbourg ou de Fribourg. N’ayant donc regardé que celle-là, elles en ont conclu que la statuaire du moyen âge inclinait vers la recherche du laid, ou tout au moins était maniérée, maigre, dépourvue de grandeur. Ce jugement est cependant téméraire, même sur les bords du Rhin. Il est quelques statues de la cathédrale de Strasbourg qui sont des œuvres capitales ; les deux statues de l’Église et de la Synagogue placées à la porte Sud et qui sont du commencement du XIIIe siècle sont remarquablement belles. Plusieurs des statues des vierges sages et folles de la porte droite de la façade occidentale, datant de la fin du XIIIe siècle, sont des chefs-d’œuvre. On en pourra juger par l’exemple que nous donnons ici (fig. 25). Ces statues grande nature, taillées dans du grès rouge, sont d’une exécution excellente, et la plupart ont une très-belle tournure. Ces artistes rhénans, comme leurs confrères de l’Île-de-France, de la Champagne, de la Bourgogne, de la Picardie, s’inspiraient d’ailleurs des types qu’ils avaient sous les yeux. Ce ne sont plus là les physionomies que nous retrouvons à Paris, à Reims ou à Amiens, mais bien le type alsacien. Malheureusement beaucoup de ces statues ou bas-reliefs de la cathédrale de Strasbourg ont été refaits à diverses époques, car jamais on n’a cessé de travailler à cet édifice. Une statue, un bas-relief étaient-ils détériorés par le temps ou la main des hommes, on les remplaçait. Il ne faut donc pas s’en rapporter, pour porter un jugement sur l’école de sculpteurs des XIIIe et XIVe siècles de Strasbourg, à l’ensemble des exemples que nous montre la cathédrale, mais discerner, au milieu de ces restaurations successives, les ouvrages qui réellement appartiennent au beau moment de cette école.

Que de fois des critiques, peu familiers avec la pratique de l’art, ont établi des jugements, voire des théories ou des systèmes, sur des œuvres de sculpture qui ne sont que de faibles copies ou des pastiches maladroits. Il en est de la statuaire du moyen âge comme de la statuaire grecque ; il est bien des ouvrages mal restaurés ou refaits, bien des copies qu’il ne faut pas confondre avec les œuvres originales. Que d’amateurs s’extasient sur de faux antiques, les supposant de bon aloi ! Combien d’autres mettent sur le compte de l’art du moyen âge les défauts grossiers de mauvais pastiches et jugent ainsi toute une école, d’après un exemple dû à quelque ciseau maladroit, à quelque pauvre praticien ignorant. Il est une qualité de cette statuaire du moyen âge du bon temps qui se fait toujours reconnaître, même dans les œuvres de second ordre, c’est la fermeté du modelé, la simplicité des moyens, l’observation fine du geste, de la physionomie, du jet des draperies. Cette qualité ne s’acquiert qu’après de longues études, aussi ne la trouve-t-on pas dans les pastiches, surtout lorsque ceux-ci ont été faits par des artistes qui, prétendant ne trouver dans cet art qu’une naïveté grossière, se faisaient plus maladroits qu’ils