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fréquemment voit-on dans les monuments de la première moitié du XIIIe siècle des statues qui produisent un effet excellent à leur place et qui moulées, posées dans un musée, sont défectueuses. Le contraire a trop souvent lieu aujourd’hui ; des statues satisfaisantes dans l’atelier de l’artiste sont défectueuses une fois mises en place. La question se borne à savoir s’il convient de faire de la statuaire pour la satisfaction de l’artiste et de quelques amis qui la voient dans l’atelier, ou s’il est préférable dans l’exécution de songer à cette place définitive. Les sculpteurs du moyen âge n’avaient point d’expositions annuelles où ils envoyaient leurs œuvres pour les faire voir isolées, sous un aspect qui n’est pas l’aspect définitif. Ils pensaient avant tout à la destination des figures qu’ils sculptaient, à l’effet qu’elles devaient produire en raison de cette destination. Ils se permettaient ainsi des irrégularités ou des exagérations que l’effet en place justifie pleinement, mais qui les feraient condamner dans une salle d’exposition aujourd’hui.

À notre avis, l’exposition d’une statue, en dehors de la place à laquelle on la destine, est un piège pour l’artiste. Ou il travaille en vue de cette exhibition isolée, partielle, et alors il ne tient pas compte de l’emplacement, du milieu définitif ; ou il satisfait à ces dernières conditions et il ne saurait contenter les amateurs qui vont voir sa statue comme on regarde un meuble ou un ustensile dont la place n’est point marquée. On peut produire une œuvre de statuaire charmante, possédant en elle-même sa valeur, et plusieurs de nos statuaires modernes ont prouvé que cela était possible encore aujourd’hui. Mais s’il s’agit de la statuaire appliquée à l’architecture, il est des conditions particulières auxquelles on doit satisfaire, conditions d’effet, d’emplacement, souvent opposées à celles qui peuvent pleinement satisfaire dans l’atelier. Or, les sculpteurs du moyen âge avaient acquis une grande expérience de ces effets, en raison de la place et de l’entourage, de la hauteur, de la dimension vraie ou relative. On pourrait même soutenir que sous ce rapport les statuaires du moyen âge sont allés bien au delà des Grecs, soit parce qu’ils plaçaient dans les édifices un nombre beaucoup plus considérable de figures, soit parce que ces édifices étant de dimensions incomparablement plus grandes, ils devaient tenir compte de ces dimensions lorsqu’il s’agissait de produire certains effets que l’éloignement, la perspective tendaient à détruire.

Il est évident, par exemple, que les Parques du fronton du Parthénon, ces incomparables statues, ont été faites bien plutôt pour être vues dans un atelier que sur le larmier du temple de Minerve. À cette place, la plupart des détails n’étaient vues que des hirondelles, et les figures assises devaient presque entièrement être masquées par la saillie de la corniche. Dans le même monument, les bas-reliefs de la frise sous le portique, éclairés de reflet, pouvaient difficilement être appréciés, bien que le sculpteur, par la manière dont sont traités les figures, ait évidemment pensé à leur éclairage. Mais comme dimension, qu’est-ce que le Parthénon comparé à la cathédrale de Reims ? C’est dans ce dernier édifice où