Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 8.djvu/162

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[sculpture]
— 159 —

tion matérielle qui parfois est défectueuse. Ces artistes avaient des idées et prenaient le plus court chemin pour les exprimer. Aussi, comme les Grecs, atteignaient-ils souvent la véritable grandeur ; car il faut bien reconnaître que la sculpture ne possède pas les ressources étendues de la peinture, surtout de la peinture telle qu’elle a été comprise depuis le XVIe siècle ; elle n’a ni le prestige des effets obtenus par la perspective, la coloration, la différence des plans. Elle n’a, pour exprimer un sentiment dramatique, que le geste et la composition des lignes. La pénurie de ces moyens exige une grande netteté dans la conception. Or, on doit reconnaître que les artistes du XIIIe siècle ont possédé ces qualités à un degré très-élevé.

Il ne faudrait pas croire cependant que dans leurs œuvres l’exécution matérielle ne tînt pas une grande place. Il ne s’agit pas ici de cette perfection mécanique qui consiste à tailler et ciseler adroitement la pierre, le marbre ou le bois ; ils ont prouvé que, sous ce rapport, ils ne le cédaient à aucune école, y compris celles de l’antiquité, mais il s’agit de cette exécution si rarement comprise de nos jours, et qui tient à l’objet, à sa place, à sa destination. Les sculpteurs du moyen âge ont composé de très-petits bas-reliefs et des colosses. Si nous nous reportons à la belle antiquité grecque, nous observerons que les infiniment petits en sculpture sont traités comme les œuvres d’une dimension extra-naturelle. Les procédés admis pour le modelé d’une figure d’un centimètre ou deux de hauteur sur une pierre intaillée grecque, sont les mêmes que ceux appliqués à un colosse. En effet, pour qu’un colosse paraisse grand, il ne suffit pas de lui donner une dimension extra-naturelle ; il faut sacrifier quantité de détails, exagérer les masses, faire ressortir certaines parties. Il en est de même si l’on cherche l’infiniment petit. L’échelle alors vous oblige à sacrifier les détails, à faire valoir les masses principales. Aussi les pierres gravées grecques donnent-elles l’idée d’une grande chose ; et si l’on voulait faire un colosse avec une de ces figures de 2 centimètres de hauteur, il n’y aurait qu’à la grandir en observant exactement les procédés de l’artiste. Les Égyptiens dans la haute antiquité, avant les Ptolémées, ont mieux qu’aucun peuple compris cette loi ; leurs colosses, dont ils ne sont point avares, sont traités en raison de la dimension ; c’est-à-dire que plus ils sont grands et plus les détails sont sacrifiés, plus les points saillants de la forme générale sont sentis, prononcés. Aussi les colosses égyptiens paraissent-ils plus grands encore qu’ils ne le sont réellement, tandis que les grandes statues que nous faisons aujourd’hui ne donnent guère l’idée que de la dimension naturelle.

Les artistes de la première moitié du XIIIe siècle ont sculpté quantité de colosses et en les sculptant ils ont observé cette loi si bien pratiquée dans l’antiquité, d’obtenir une exécution d’autant plus simple que l’objet est plus grand et d’insister sur certaines parties qu’il s’agit de faire valoir.

Voyons, par exemple, comme sont traitées les statues colossales de la galerie des rois de la cathédrale d’Amiens. La plupart de ces statues sont