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deux résultats sont atteints dans l’antiquité ; plus rarement encore dans l’art du moyen âge. Le sens dramatique, si profond souvent dans la statuaire du moyen âge, semble gêner le développement du beau plastique et le statuaire, tout pénétré de son idée, l’exprime sans songer à la beauté de la forme. Il n’en faut pas moins distinguer ces qualités et en tenir compte.

Quelques bas-reliefs de la fin du XIIe siècle de l’école de l’Île-de-France sont très-fortement empreints du sentiment dramatique. Nous citerons entre autres celui qui sur le tympan de la porte centrale de la cathédrale de Senlis représente la mort de la Vierge, et là l’exécution est belle. Dans cette scène, à laquelle assistent des anges, il y a une pensée rendue avec une grandeur magistrale. L’événement émeut les esprits célestes plus peut-être que les apôtres, et dans cette émotion des anges, il y a comme un air de triomphe qui remue le cœur, en enlevant à cette scène toute apparence d’une mort vulgaire. Ce n’est plus la mère du Christ s’éteignant au milieu des apôtres qui expriment leur douleur, c’est une âme dégagée des liens terrestres et dont la venue prochaine réjouit le ciel. L’idée, dans des sujets semblables, de placer le Christ parmi les apôtres, recevant dans ses bras, sous la figure d’un enfant, l’âme de sa mère, est déjà l’expression très-dramatique d’un sentiment élevé, touchant, et cette idée a souvent été rendue avec bonheur par les artistes du commencement du XIIIe siècle. L’école rhénane manifeste aussi des tendances dramatiques dès le XIIe siècle, mais avec une certaine recherche qui fait pressentir les défauts de cette école inclinant vers le maniéré.

La clôture du chœur oriental de la cathédrale de Bamberg représente, sous une arcature, des apôtres groupés deux par deux qui accusent bien les tendances de cette école rhénane si intéressante à étudier. La figure 19 donne l’un de ces groupes. Il y a dans les gestes, dans les expressions de ces personnages qui discutent, un sentiment dramatique prononcé, penchant vers le réalisme, qu’on ne trouve à cette époque dans aucune autre école. Mais ce sentiment dramatique manque de l’élévation que possède la statuaire de l’Île-de-France. Cette province est l’Attique du moyen âge. C’est à son école qu’il est bon de recourir quand on veut se rendre compte du développement de la statuaire soit comme pensée, soit comme exécution.

Nous avons parlé déjà des scènes qui garnissent les voussures de la porte centrale de Notre-Dame de Paris (côté des damnés) et de l’expression terrible de ces scènes mises en regard de la béatitude et du calme des élus. L’une de ces scènes représente une femme nue, les yeux bandés, tenant un large coutelas dans chaque main ; elle est à cheval et derrière elle tombe, à la renverse, un homme dont les intestins s’échappent par une large blessure. Voyez figure 20. « Et en même temps je vis paraître un cheval pâle ; et celui qui était monté dessus s’appelait la Mort et l’enfer le suivait ; et le pouvoir lui fut donné sur la quatrième