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même, c’est l’intelligible et l’immatériel… » Et avant Socrate le poëte Épicharme n’avait-il pas dit :

« C’est l’esprit qui voit, c’est l’esprit qui entend :
L’œil est aveugle, l’oreille est sourde. »


Donc ces Grecs qu’on nous représente (lorsqu’il est question des arts) comme absolument dévoués au culte de la beauté extérieure, de la forme, possédaient au milieu d’eux, dès avant Phidias, des poëtes, des philosophes qui chantaient et professaient quoi ? L’illusion des sens, le détachement de l’âme du corps, de ses appétits et de ses passions, l’asservissement de l’enveloppe matérielle à l’esprit. On avouera que sous ce rapport le christianisme n’a rien inventé. Mais si les Athéniens, tout en écoutant Socrate, taillaient les marbres du Parthénon et du temple de Thésée, ils alliaient difficilement les théories du philosophe avec cette importance merveilleuse donnée à la beauté extérieure… Socrate fut condamné à mort. Phidias fut exilé ; ce qui tendrait à prouver qu’à ce moment de la civilisation athénienne une lutte sourde commençait entre ces deux principes, de la prépondérance de la matière sur l’âme, de l’âme sur la matière. Et en effet Phidias n’est pas plutôt à Olympie qu’il façonne cette statue de Zeus, d’une si étrange beauté, si l’on en croit ceux qui l’ont vue, en ce qu’elle reflétait, sur une admirable forme, la pensée la plus profonde. Déjà donc, à l’apogée de la splendeur plastique de l’art grec s’élève la réaction, non contre la beauté plastique, mais contre la suprématie de cette beauté sur l’intelligence, sur ce que Socrate lui-même appelle la vérité née de la raison humaine. Qu’ont donc fait ces statuaires de notre belle école laïque primitive, si ce n’est de suivre cette voie ouverte par les Grecs eux-mêmes et de chercher, non point par une imitation plastique, mais dans leur pensée, tous les éléments de l’art dont ils nous ont laissé de si beaux exemples ?

Les statuaires du XIIIe siècle ne pouvaient avoir les idées, les sentiments des statuaires du temps de Périclès ; ayant d’autres idées, d’autres sentiments, il était naturel qu’ils cherchassent, pour les rendre, des moyens différents de ceux employés par les artistes grecs et en cela ils étaient d’accord avec les principes émis par les Grecs, si nous en croyons Platon. Mais, objectera-t-on : « nous ne contestons pas cela ; nous n’accusons pas les artistes du moyen âge de n’avoir pas produit des œuvres aussi bonnes que le permettait le milieu social où ils vivaient. Nous tenons à constater seulement que leurs œuvres ne sont pas et ne pouvaient être aussi belles que celles de l’époque grecque, et que par conséquent il est bon d’étudier celles-ci, funeste d’étudier celles-là. » Nous sommes d’accord, sauf sur la conclusion en ce qu’elle a au moins d’absolu. Nous répondrons : « Il est utile d’étudier la statuaire grecque et de s’enquérir en même temps de l’état social au milieu duquel elle s’est développée, parce que cet art est en harmonie avec cet état social et que sa forme sen-