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à ce mouvement d’art du commencement du XIIIe siècle, l’un des faits intellectuels les plus intéressants de notre histoire. Qu’il ait été aidé par l’épiscopat, ce n’est guère douteux ; mais qu’il émane de l’esprit laïque ce l’est encore moins. Aussi qu’arrive-t-il ? les chroniqueurs d’abbayes, empressés, avant cette époque, de vanter les moindres travaux dus aux moines, qui relatent avec un soin minutieux et une exagération naïve, les embellissements de leurs églises ; qui voient du marbre et de l’or là où l’on emploie de la pierre ou du plomb doré, se taisent tout à coup et n’écrivent plus un mot touchant les constructions dorénavant confiées aux laïques, même dans les monastères. Ils subissent le talent de ces nouveaux venus dans la pratique des arts, ils acceptent l’œuvre, mais quant à la vanter ou à mettre en lumière son auteur, ils n’ont garde. Pour les cathédrales, si la chronique parle de leur construction, elle montre des populations entières mues par un souffle religieux amenant les pierres et les élevant comme par l’effet d’une grâce toute spéciale. Or imagine-t-on des populations urbaines concevant, traçant, taillant et dressant des édifices comme la cathédrale de Chartres, comme celles de Paris ou de Reims, et ces mêmes citadins prenant le ciseau pour sculpter ces myriades de figures ? C’est cependant sur ces graves niaiseries que beaucoup jugent ces arts ; comme s’il était du ressort de la foi, si pure qu’elle fût, d’enseigner la géométrie, le trait, la pratique de la construction, l’art de modeler la terre ou de sculpter la pierre.

Dans les églises clunisiennes du XIe et du XIIe siècle, la statuaire ne reproduit guère que des sujets empruntés aux légendes de saint Antoine, de saint Benoît, de sainte Madeleine, ou même de personnages moins considérables, et il faut reconnaître que dans ces légendes les imagiers, qui certes alors travaillaient dans les couvents s’ils n’étaient moines eux-mêmes, choisissaient les sujets les plus étranges. Pour des portails, on reproduisait les grandes scènes du Jugement. On faisait les honneurs du lieu saint aux personnages divins et aux apôtres, mais partout ailleurs les scènes de l’Ancien ou du Nouveau Testament ne prenaient qu’une petite place. Saint Bernard en s’élevant contre cette abondance de représentations sculptées qu’il considère comme des fables grossières mises sous les yeux du peuple, sut interdire l’art de la statuaire à l’ordre institué par lui. Les cisterciens du XIIe siècle sont de véritables iconoclastes. Soit que le blâme amer de saint Bernard ait porté coup sur les esprits, soit que l’épiscopat partageât en partie ses idées à ce sujet, soit qu’un esprit philosophique eût déjà pénétré les populations des grands centres, toujours est-il que lorsqu’on élève les cathédrales, de 1180 à 1230, l’iconographie de ces édifices prend un caractère différent de celle admise jusqu’alors dans les églises monastiques. Les sujets empruntés aux légendes disparaissent presque entièrement. La sculpture va chercher ses inspirations dans l’Ancien et le Nouveau Testament, puis elle adopte tout un système iconographique sans précédents. Elle devient une encyclopédie représentée. Si les scènes principales indiquées