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toute occupée de ses luttes intestines, de combattre les empiètements du haut clergé, des établissements monastiques, et du pouvoir royal, ne songe guère à gêner le travail qui se fait dans les grandes cités qu’elle n’aime guère et où elle réside le moins possible. On conçoit donc que dans un semblable état une classe comme celle des artistes jouisse d’une liberté intellectuelle très-étendue ; elle n’est pas sous la tutelle d’une académie ; elle n’a pas affaire à de prétendus connaisseurs, ou à plaire à une cour ; ce qu’elle considère comme le progrès sérieux de l’art l’inquiète seul et dirige sa marche.

L’attitude que les évêques avait prise à cette époque vis-à-vis de la féodalité laïque et des établissements religieux, en s’appuyant sur l’esprit communal tendant à s’organiser, était favorable à ce progrès des arts, définitivement tombés dans les mains des laïques. Ces prélats pensant un moment établir une sorte de théocratie municipale, ainsi que cela avait eu lieu à la chute de l’Empire romain, et, une fois devenus magistrats suprêmes des grandes cités, n’avoir plus à compter avec toute la hiérarchie féodale, avaient puissamment aidé à ce développement des arts par l’érection de ces vastes cathédrales que nous voyons encore aujourd’hui.

Ces monuments, qui rivalisaient de splendeur furent, de 1160 à 1240, l’école active des architectes, imagiers, peintres, sculpteurs, qui trouvaient là un chantier ouvert dans chaque cité et sur lequel ils conservaient toute leur indépendance ; car les prélats, désireux avant tout d’élever des édifices qui fussent la marque perpétuelle de leur protection sur le peuple des villes, qui pussent consacrer le pouvoir auquel ils aspiraient, se gardaient de gêner les tendances de ces artistes. Loin de là, la cathédrale devait être, avant tout, le monument de la cité, sa chose, son bien, sa garantie, sorte d’arche d’alliance entre le pouvoir épiscopal et la commune ; c’était donc à la population laïque à l’élever, et moins la cathédrale ressemblait à une église conventuelle et plus l’évêque devait se flatter de voir s’établir entre la commune et lui cette alliance qu’il considérait comme le seul moyen d’assurer sa suprématie au centre de la féodalité. Le rôle que joue la statuaire dans ces cathédrales est considérable. Si l’on visite celles de Paris, de Reims, de Bourges, d’Amiens, de Chartres, on est émerveillé, ne fût-ce que du nombre prodigieux de statues et bas-reliefs qui complètent leur décoration.

À dater des dernières années du XIIe siècle, l’école laïque, non-seulement a rompu avec les traditions byzantines conservées dans les monastères, mais elle manifeste une tendance nouvelle dans le choix des sujets, et la manière de les exprimer.

Au lieu de s’en tenir presque exclusivement aux reproductions de sujets légendaires dans la statuaire, comme cela se faisait dans les églises conventuelles, elle ouvre l’Ancien et le Nouveau Testament, se passionne pour les encyclopédies, et cherche à rendre saisissables pour la foule certaines idées métaphysiques. Il ne semble pas que l’on ait pris garde