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été l’état social de la Grèce ? Non. Chez les Grecs, la religion, les habitudes, les mœurs, tout semblait concourir au développement de l’art du statuaire. Si les Athéniens ne se promenaient pas tout nus dans les rues, le gymnase, les jeux, mettaient sans cesse en relief, aux yeux du peuple, les avantages corporels de l’homme et les habitants des villes grecques pouvaient distinguer la beauté physique du corps humain, comme de nos jours le peuple de nos villes distingue à première vue un homme bien mis et portant son vêtement avec aisance, d’un malotru. L’art ne pouvant plus se développer en observant et reproduisant avec distinction le côté plastique du corps humain devait se faire jour d’une autre manière. Il s’attacha donc à étudier les reflets de l’âme sur les traits du visage, dans les gestes, dans la façon de porter les vêtements, de les draper. Et ainsi limité, il atteignit encore une grande élévation.

Si donc nous voulons considérer l’art de la statuaire dans les temps antiques et dans le moyen âge du côté historique et en oubliant les redites de l’école moderne, nous serons amenés à cette conclusion, savoir : que les habitudes introduites par le christianisme étant admises, les statuaires du moyen âge en ont tiré le meilleur parti et ont su développer leur art dans le sens possible et vrai. Au lieu de chercher, comme nous le voyons faire aujourd’hui, à reproduire des modèles de l’antiquité grecque, ils ont pris leur temps tel qu’il était et ont trouvé pour lui un art intelligible, vivant, propre à instruire et à élever l’esprit du peuple. Un pareil résultat mérite bien qu’on s’y arrête, surtout si dans des données aussi étroites, ces artistes ont atteint le beau, l’idéal. S’en prendre à eux s’ils ne sculptaient point le Christ et la sainte Vierge nus comme Apollon et Vénus c’est leur faire une singulière querelle, d’autant que les Grecs eux-mêmes ne se sont pris d’amour qu’assez tard pour la beauté plastique dépouillée de tout voile. Mais la nécessité de vêtir la statuaire étant une affaire de mœurs, savoir donner au visage de beaux traits, une expression très-élevée, aux gestes un sentiment vrai et toujours simple, aux draperies un style plein de grandeur, c’était là un véritable mouvement d’art, neuf, original et certes plus sérieux que ne saurait l’être l’imitation éternelle des types de l’antiquité. Ces imitations de chic, le plus souvent, et dont on a tant abusé n’ont pu faire, il est vrai, descendre d’un degré les chefs-d’œuvre des beaux temps de la Grèce dans l’esprit des amants de l’art et c’est ce qui fait ressortir l’inappréciable valeur de ces ouvrages ; mais cela ne saurait les faire estimer davantage de la foule, aussi la statuaire de nos jours est-elle devenue affaire de luxe entretenue par les gouvernements, ne répondant à aucun besoin, à aucun penchant de l’intelligence du public ; or nous ne pensons pas qu’un art soit, s’il n’est compris et aimé de tous.

À Athènes toute la ville se passionnait pour une statue. À Rome, au contraire, les objets d’art étaient la jouissance de quelques-uns ; aussi la Rome impériale n’a pas un art qui lui soit propre, au moins quant à la statuaire. Pendant les beaux temps du moyen âge l’art de la statuaire