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de Pierre l’Ermite, non-seulement des hommes de guerre, mais des gens de toutes sortes, ouvriers, marchands, aventuriers, qui bientôt, avec cette facilité qu’ont les Français principalement d’imiter les choses nouvelles qui attirent leur attention, se façonnèrent aux arts et métiers pratiqués dans ces riches cités de l’Orient. C’est en effet à dater des premières années du XIIe siècle que nous voyons l’art de la sculpture se transformer sur le sol de la France, mais avec des variétés qu’il faut signaler. Les monuments grecs des VIe et VIIe siècles qui remplissent les villes de Syrie, et notamment l’ancienne Cilicie, possèdent une ornementation sculptée d’un beau style, et qui rappelle celui des meilleurs temps de la Grèce antique[1], mais sont absolument dépourvus de statuaire. Cependant il y avait eu à Constantinople, avant et après les fureurs des iconoclastes, des écoles de sculpteurs statuaires, qui fabriquaient quantité de meubles en bois, en ivoire, en orfèvrerie, que les Vénitiens et les Génois répandaient en Occident. Nous possédons, dans nos musées et nos bibliothèques, bon nombre de ces objets antérieurs au XIIe siècle. Il ne paraît pas toutefois que les artistes byzantins se livrassent à la grande statuaire, et les exemples dont nous parlons ici sont, à tout prendre, de petite dimension et d’une exécution souvent barbare. Il n’en était pas de même pour la peinture : les Byzantins avaient produit dans cet art des œuvres tout à fait remarquables, et dont nous pouvons nous faire une idée par les peintures des églises de la Grèce[2] et par les vignettes des manuscrits de la Bibliothèque impériale.

Or, parmi ces croisés partis des différents points de l’extrême Occident, les uns rapportent, dès le commencement du XIIe siècle, de nombreux motifs de sculpture d’ornement d’un beau caractère, d’autres de l’ornementation et de la statuaire.

Nous voyons, par exemple, à cette époque, le Poitou, la Saintonge, la Normandie, l’Île-de-France, la Picardie, l’Auvergne, répandre sur leurs édifices, des rinceaux, des chapiteaux, des frises d’ornements d’un très-beau style, d’une bonne exécution, qui semblent copiés, ou du moins immédiatement inspirés par l’ornementation byzantine de la Syrie, tandis qu’à côté de ces ornements, la statuaire demeure à l’état barbare et ne semble pas faire un progrès sensible. Mais si nous nous transportons en Bourgogne, sur les bords de la Saône, dans le voisinage des principaux monastères clunisiens, c’est tout autre chose. La statuaire a fait, au commencement du XIIe siècle, un progrès aussi rapide que l’ornementation sculptée, et rappelle moins encore par son style les diptyques byzantins, que les peintures qui ornent les monuments et les manuscrits grecs. Ceci s’explique. Si des moines grossiers, si des ouvriers ignorants pou-

  1. Voyez l’ouvrage de M. le comte Melchior de Vogué et de M. Duthoit, sur les villes entre Alep et Antioche (Syrie centrale).
  2. M. Paul Durand a calqué un grand nombre de ces peintures qui datent des VIIIe, IXe, Xe et XIe siècles, et qui sont du plus beau style. Il serait fort à désirer que ces calques fussent publiés.