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XIe siècle, les seules provinces de la Gaule qui eussent conservé des traditions d’art de l’antiquité étaient celles dont l’organisation municipale romaine s’était maintenue. Quelques villes du Midi, à cette époque, se gouvernaient encore intra muros, comme sous l’empire ; par suite, elles possédaient leurs corps d’artisans et les traditions des arts antiques, très-affaiblies, il est vrai, mais encore vivantes. Toulouse, entre toutes ces anciennes villes gallo-romaines, était peut-être celle qui avait le mieux conservé son organisation municipale. Les arts, chez elle, n’avaient pas subi une lacune complète, ils s’étaient perpétués. Aussi cette cité devint-elle, dès le commencement du XIIe siècle, le centre d’une école puissante et dont l’influence s’étendit sur un vaste territoire.

Dans une autre région de la France, l’ordre de Cluny, institué au commencement du Xe siècle, avait pris, au milieu du XIe, un développement prodigieux[1].

À cette époque, les clunisiens étaient en rapport avec l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, l’Angleterre, la Hongrie ; non-seulement ils possédaient des maisons dans ces contrées, mais encore ils entretenaient des relations avec l’Orient. C’est au sein de ces établissements clunisiens que nous pouvons constater un véritable mouvement d’art vers la seconde moitié du XIe siècle. Jusqu’alors, sur le sol des Gaules, et depuis la chute de l’empire, la sculpture n’est plus ; mais tout à coup elle se montre comme un art déjà complet, possédant ses principes, ses moyens d’exécution, son style. Un art ne pousse pas cependant comme des champignons ; il est toujours le résultat d’un travail plus ou moins long, et possède une généalogie. C’est cette généalogie qu’il convient d’abord de rechercher.

En 1098, une armée de chrétiens commandée par Godefroi, le comte, Baudouin, Bohémond, Tancrède, Raymond de Saint-Gilles et beaucoup d’autres chefs, s’empara d’Antioche, et depuis cette époque jusqu’en 1268, cette ville resta au pouvoir des Occidentaux. Antioche fut comme le cœur des croisades ; prélude de cette période de conquêtes et de revers, elle en fut aussi le dernier boulevard. C’était dans ces villes de Syrie, bien plus que dans la cité impériale de Constantinople, que les arts grecs s’étaient réfugiés. Au moment de l’arrivée des croisés, Antioche était encore une ville opulente, industrieuse, et possédant des restes nombreux de l’époque de sa splendeur. Toute entourée de ces villes grecques abandonnées depuis les invasions de l’islam, mais restées debout, villes dans lesquelles on trouve encore aujourd’hui tous les éléments de notre architecture romane. Antioche devint une base d’opérations pour les Occidentaux, mais aussi un centre commercial, le point principal de réunion des religieux envoyés par les établissements monastiques de la France, lorsque les chrétiens se furent emparés de la Syrie. D’ailleurs, avec les premiers croisés, étaient partis de l’Occident, à la voix

  1. Voyez Architecture Monastique.