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traditions, et qui ne possédons qu’une expérience très-bornée de l’effet décoratif de la peinture, nous devons nécessairement nous appuyer sur l’observation des exemples passés pour reconstituer certaines théories résultant de cette expérience et de ces traditions. Il serait assez inutile à nos lecteurs de savoir que tel ornement est jaune ou bleu, si nous n’expliquons pas pourquoi il est jaune ici et bleu là, et comment il produit un certain effet dans l’un ou l’autre cas. La peinture décorative est avant tout une question d’harmonie, et il n’y a pas de système harmonique qui ne puisse être expliqué.

La peinture décorative est d’ailleurs une des parties de l’art de l’architecture difficiles à appliquer, précisément parce que les lois sont essentiellement variables en raison du lieu et de l’objet. La peinture décorative grandit ou rapetisse un édifice, le rend clair ou sombre, en altère les proportions ou les fait valoir ; éloigne ou rapproche, occupe d’une manière agréable ou fatigue, divise ou rassemble, dissimule les défauts ou les exagère. C’est une fée qui prodigue le bien ou le mal, mais qui ne demeure jamais indifférente. À son gré, elle grossit ou amincit des colonnes, elle allonge ou raccourcit des piliers, élève des voûtes ou les rapproche de l’œil, étend des surfaces ou les amoindrit ; charme ou offense, concentre la pensée en une impression ou distrait et préoccupe sans cause. D’un coup de pinceau elle détruit une œuvre savamment conçue, mais aussi d’un humble édifice elle fait une œuvre pleine d’attraits, d’une salle froide et nue un lieu plaisant où l’on aime à rêver et dont on garde un souvenir ineffaçable.

Lui fallait-il, au moyen âge, pour opérer ces prodiges, des maîtres excellents, de ces artistes comme chaque siècle en fournit un ou deux ? Non certes ; elle ne demandait que quelques ouvriers peintres agissant d’après des principes dérivés d’une longue observation des effets que peuvent produire l’assemblage des couleurs et l’échelle des ornements. Alors la plus pauvre église de village badigeonnée à la chaux avec quelques touches de peinture était une œuvre d’art, tout comme la sainte Chapelle, et l’on ne voyait pas, au milieu de la même civilisation, des ouvrages d’art d’une grande valeur ou au moins d’une richesse surprenante, et à quelque pas de là de ces désolantes peintures décoratives qui déshonorent les murailles qu’elles couvrent et font rougir les gens de goût qui les regardent.

Il n’y a, comme chacun sait, que trois couleurs, le jaune, le rouge et le bleu, le blanc et le noir étant deux négations : le blanc la lumière non colorée, et le noir l’absence de lumière. De ces trois couleurs dérivent tous les tons, c’est-à-dire des mélanges infinis. Le jaune et le bleu produisent les verts, le rouge et le bleu les pourpres, et le rouge et le jaune les orangés. Au milieu de ces couleurs et de leurs divers mélanges la présence du blanc et du noir ajoute à la lumière ou l’atténue. Précisément parce que le blanc et le noir sont deux négations et sont étrangers aux couleurs, ils sont destinés, dans la décoration, à en faire ressortir la valeur. Le blanc rayonne, le noir fait ressortir le rayonnement et le