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miné et légèrement modelé. Nos artistes en France, en ce qui touche au dessin, à l’observation juste du geste, de la composition, de l’expression même, s’émancipèrent avant les maîtres de l’Italie ; les peintures et les vignettes des manuscrits qui nous restent du XIIIe siècle en sont la preuve, et cinquante ans avant Giotto nous possédions en France des peintures qui avaient déjà fait faire à l’art les progrès qu’on attribue à l’élève Cimabue[1]. De la fin du XIIe au XVe siècle le dessin se modifie. D’abord rivé aux traditions byzantines, bientôt il rejette ces données conventionnelles d’école, il cherche des principes dérivant d’une observation de la nature, sans toutefois abandonner le style ; l’étude du geste atteint bientôt une délicatesse rare, puis vient la recherche de ce qu’on appelle l’expression. Le modelé, sans atteindre à l’effet, s’applique à marquer les plans. On reconnaît des efforts de composition remarquables dès la seconde moitié du XIIIe siècle. L’idée dramatique est admise, les scènes prennent parfois un mouvement d’une énergie puissante. Vers le milieu du XIVe siècle, de fin, de délicat, le dessin penche déjà vers la manière ; les types admis se perdent pour être remplacés par l’imitation de la nature individuelle : l’exagération de ce parti est sensible au commencement du XVe siècle, à ce point que le laid s’introduit dans l’art de la peinture, et arrive trop souvent à s’emparer de toute forme. En même temps on reconnaît que l’habileté de la main est extrême, que les artistes possèdent des procédés excellents, et qu’ils poussent à l’excès la recherche du détail, la minutie dans l’exécution, dans l’étude des accessoires.

La coloration subit des transformations moins rapides : l’harmonie de la peinture monumentale est toujours soumise à un principe essentiellement décoratif ; cette harmonie change de tonalité, il est vrai, mais c’est toujours une harmonie applicable aux sujets comme aux ornements. Ainsi, par exemple, au XIIe siècle, cette harmonie est absolument celle des peintures grecques, toutes très-claires pour les fonds. Pour les figures comme pour les ornements, ton local, qui est la couleur et remplace ce que nous appelons la demi-teinte ; rehauts clairs, presque blancs, sur toutes les saillies ; modelé brun égal pour toutes les nuances ; finesses soit en clair sur les grandes parties sombres, soit en brun sur les grandes parties claires, afin d’éviter, dans l’ensemble, les taches. Couleurs rompues, jamais absolues[2], au moins dans les grandes parties ; quelquefois emploi du noir comme rehauts. L’or admis comme broderie, comme points brillants, nimbes ; jamais, ou très-rarement, comme fond. Couleurs dominantes, l’ocre jaune, le brun-rouge clair, le vert de nuances diverses ; couleurs secondaires, le rose pourpre, le violet pourpre clair, le bleu clair. Toujours un trait brun entre chaque couleur juxtaposée. Il est rare, d’ail-

  1. Il a manqué à nos artistes un Vasari, un apologiste exclusif. C’est un malheur, mais cela diminue-t-il leur mérite ? et est-ce à nous de leur reprocher l’oubli où nous les avons laissés.
  2. Cela provient des procédés employés, ainsi que nous l’indiquerons tout à l’heure.