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médiatement et qui les imitait de si près, serait-il donc déjà devenu si fort en architecture mystique ? Pour notre compte, nous avons beaucoup de peine à nous le figurer ; et nous penserions volontiers que cette science, affectée et inutile, est venue bien plus tard au monde, par exemple au XVe siècle, avec la franc-maçonnerie, lorsque les architectes n’avaient plus qu’à tout raffiner et à subtiliser sur toute chose. » Nous avons cité tout ce passage, dû à une plume autorisée, parce qu’il tend à établir une certaine confusion dans l’étude de cet art du moyen âge, et qu’il appuie un préjugé fâcheux, à notre sens. La géométrie et ses applications ne sont point une science inutile pour les architectes, et il n’y a pas de tour de force à se servir d’une figure géométrique pour établir une figure harmonique en architecture. Nous dirons même qu’il est impossible à tout praticien de concevoir et de développer un système harmonique sans avoir recours aux figures géométriques ou à l’arithmétique. Les Égyptiens, les Grecs, n’ont pas procédé autrement, et le bon sens ne saurait indiquer d’autres méthodes de procéder. Il n’est pas douteux que l’architecte de Cologne et ses successeurs, en France et en Allemagne, ont subtilisé sur les systèmes de leurs devanciers, mais ceux-ci en possédaient, nous venons de le démontrer, et il n’était pas possible d’élever de pareils monuments sans en posséder. Un système géométrique ou arithmétique propre à établir des lois de proportions, loin d’être une entrave, est au contraire un auxiliaire indispensable, car il nous faut bien nous servir de la règle, du compas et de l’équerre pour exprimer nos idées. Nous ne pouvons établir un édifice à l’aide d’un empirisme vague, indéfini. Disons-le aussi, jamais les règles, dans les productions de l’esprit humain, n’ont été une entrave que pour les médiocrités ignorantes ; elles sont un secours efficace et un stimulant pour les esprits d’élite. Les règles, si sévères, de l’harmonie musicale, n’ont point empêché les grands compositeurs de faire des chefs-d’œuvre et n’ont point étouffé leur inspiration. Il en est de même pour l’architecture. Le mérite des architectes du moyen âge a été de posséder des règles bien définies, de s’y soumettre et de s’en servir. Un malheur aujourd’hui dans les arts, et particulièrement dans l’architecture, c’est de croire que l’on peut pratiquer cet art sous l’inspiration de la pure fantaisie, et qu’on élève un monument avec cette donnée très-vague qu’on veut appeler le goût, comme on compose une toilette de femme. Nos maîtres du moyen âge étaient plus sérieux, et, quand ils posaient la règle et l’équerre sur leur tablette, ils savaient comment ils allaient procéder ; ils marchaient méthodiquement, géométriquement, sans passer leur temps à crayonner au hasard, en attendant cette inspiration vague à laquelle les esprits paresseux s’habituent à rendre un culte.

D’ailleurs, l’emploi de ces méthodes géométriques n’était pas, répétons-le, une formule invariable, c’était un moyen propre à obtenir les combinaisons les plus variées, mais combinaisons dérivant toujours d’un principe qu’on ne pouvait méconnaître sans tomber dans le faux. Exa-