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du projet primitif, l’intérieur de la cathédrale de Bourges est d’une proportion fâcheuse, et cela parce que la méthode admise n’a pas été rigoureusement suivie dans ses conséquences. On n’en peut dire autant de l’intérieur du chœur de Beauvais, qui, avant les changements que le XIVe siècle apporta aux dispositions premières, était un chef-d’œuvre. Toutes les parties, dans ce vaste édifice, dérivent du triangle équilatéral, depuis le plan jusqu’aux ensembles et détails des coupes et des élévations. Malheureusement la cathédrale de Beauvais fut élevée avec des ressources trop médiocres et des matériaux faibles, soit comme qualité, soit comme hauteur ; des désordres, provenant de la mauvaise exécution, nécessitèrent des travaux de reprises et de consolidation, des doublures de piles, qui détruisirent en grande partie l’effet vraiment prodigieux que produisait cet immense vaisseau, si bien conçu théoriquement et tracé par un homme de génie. Malgré ses belles proportions, l’église de Notre-Dame d’Amiens est inférieure à ce qui nous reste de la cathédrale de Beauvais, et celle de Cologne, bâtie quelques années plus tard sur un plan et des coupes semblables, est bien loin de présenter des dispositions aussi heureuses. Là, à Cologne, l’architecte a suivi rigoureusement les données géométriques ; sa composition est une formule qui ne tient compte ni des effets de la perspective, ni des déformations que subissent les courbes en apparence, à cause de la hauteur où elles sont placées. Aussi le chœur de Cologne surprend plus qu’il ne charme ; le géomètre a supprimé l’artiste. Il n’en est pas de même à Beauvais, ni dans aucun des bons édifices de la période gothique française : l’artiste est toujours présent à côté du géomètre, et sait, au besoin, faire fléchir les formules. M. Boisserée, dans sa monographie de la cathédrale de Cologne, a parfaitement fait ressortir l’emploi du triangle équilatéral dans la construction de cet édifice. Mais le savant archéologue ne nous semble pas avoir étudié à fond nos monuments de la période antérieure. M. Félix de Verneilh a relevé quelques erreurs de M. Boisserée relatives à nos cathédrales, notamment en ce qui concerne les mesures de Notre-Dame d’Amiens[1] ; mais, d’autre part, M. Félix Verneilh n’attache pas à ces méthodes géométriques l’importance qu’elles méritent. « Dresser un plan d’après le principe du triangle équilatéral, c’est un tour de force comme un autre ; mais est-il entré dans la pensée du maître de l’œuvre ? C’est une entrave plutôt qu’une source d’harmonie ; le maître de l’œuvre s’en était-il embarrassé ? Nos grands artistes des XIIe et XIIIe siècles, cela est attesté par leurs monuments, se dirigeaient par l’expérience, non par des théories, dans la création du style ogival. Hommes de bon sens avant tout, ils n’avaient qu’une règle, qu’un principe : parvenir, avec le moins de frais possibles, à l’effet le plus grand, en évitant les fautes et en s’appropriant le succès de leurs devanciers. L’architecte de Cologne, qui les suivait im-

  1. Voyez la Cathédrale de Cologne, par M. Félix de Verneilh. (Annales archéologiques, 1848).