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travée ont donné une suite de losanges à 60º et toutes les hauteurs ; celles des naissances et clefs des arcs des fenêtres, celle de la corniche g supérieure, celle h des pinacles. Quant aux gâbles des fenêtres, tracés suivant des triangles dont les côtés sont au-dessous de 60º, le triangle équilatéral a encore été rappelé par le niveau de la bague i des fleurons supérieurs. Dans cet édifice, l’unité des proportions est donc obtenue au moyen de l’emploi des triangles équilatéraux. Des rapports constants s’établissent ainsi entre les parties et le tout, puisque l’œil trouve tous les points principaux posés sur les sommets de triangles semblables.

Ces méthodes permettaient un tracé rapide, et toujours établi d’après un même principe pour chaque édifice. C’est qu’en effet les architectes qui tentent aujourd’hui d’élever des constructions suivant le mode dit gothique, s’ils veulent (comme cela se pratique habituellement) suivre leur sentiment, composer sans l’aide d’une méthode géométrique, se trouvent bientôt acculés à des difficultés innombrables. Ne sachant sur quelles bases opérer, ils procèdent par une suite de tâtonnements, sans jamais rencontrer, soit des proportions heureuses, soit des conditions de stabilité rassurantes. Il est certain que si les maîtres du moyen âge avaient composé ainsi dans le vague, sans méthodes fixes, non-seulement ils n’auraient jamais pu trouver le temps de construire un aussi grand nombre de monuments, mais encore ils n’auraient point obtenu cette parfaite unité d’aspect qui nous charme et nous surprend encore aujourd’hui. Au contraire, partant de ce principe de la mise en place et en proportion par le moyen des triangles, ils pouvaient très-rapidement établir les grandes lignes générales avec la certitude que les proportions se déduisaient d’elles-mêmes, et que les lois de la stabilité étaient satisfaites. Ce n’est pas à dire, cependant, que le sentiment de l’artiste ne dût intervenir, car on pouvait appliquer ces méthodes suivant des combinaisons variées à l’infini. La sainte Chapelle de Paris, la cathédrale d’Amiens, sont évidemment tracées par des artistes d’une valeur peu commune ; mais, à côté de ces monuments, il en est d’autres d’où le principe de l’emploi des triangles, bien qu’admis, ne l’a été qu’imparfaitement, et où, par suite, les proportions obtenues sont vicieuses. Nous en avons un exemple frappant dans le tracé de la cathédrale de Bourges. Ce grand monument, qui présente de si belles parties, un plan si largement conçu, donne en coupe, et par conséquent à l’intérieur, des proportions disgracieuses par l’oubli d’une des conditions de son tracé même.

Contrairement à la méthode admise au XIIIe siècle, tout le système des proportions de la cathédrale de Bourges dérive du triangle isocèle rectangle, et non point du triangle équilatéral. C’était là un reste des traditions romanes, très-puissantes encore dans cette province. Le plan de la nef, dont nous présentons quelques travées (fig. 6), est dérivé d’une suite de triangles isocèles rectangles. La nef principale donne des carrés de deux en deux travées. Quant aux nefs latérales doubles, elles ont de même été engendrées par la prolongation des côtes de ces triangles ; mais, dans la