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rivière. Tous ces ouvrages, sauf le châtelet D[1] et les crêtes crénelées des parapets des avant-becs, sont encore intacts, et présentent, comme on le voit, un fort bel ensemble. La construction est faite en bons matériaux ; les claveaux des arches sont extradossés, ce qui est une condition de solidité et d’élasticité. Nous observerons, à ce propos, que les ponts romains, aussi bien que ceux du moyen âge, présentent toujours des arcs extradossés, et ce n’est pas sans raison. En effet, lorsque de lourds fardeaux passent sur les arches, pour peu qu’elles aient une assez grande portée, il se produit dans les reins un mouvement sensible de trépidation : si les claveaux sont indépendants de la construction des tympans, ils conservent leur élasticité et ne peuvent répercuter au loin l’ébranlement ; mais si au contraire ces claveaux sont à crossettes ou inégaux, c’est-à-dire s’ils sont plus épais dans les reins qu’à la clef, le mouvement oscillatoire se produit sur toute la longueur du pont, et fatigue singulièrement les piles. On peut observer ce fait sur le pont Louis XV, à Paris, bâti par le célèbre ingénieur Perronnet. Lorsqu’un chariot lourdement chargé passe sur l’arche centrale, on en ressent un ébranlement sensible sur toute la longueur du pont. Pour obvier au danger de cette oscillation, l’ingénieur Perronnet avait pour habitude de cramponner en fer les queues des claveaux ; mais s’il assurait ainsi la solidarité de toutes les parties du pont, il plaçait un agent destructeur très-actif dans la maçonnerie, agent qui tôt ou tard causera des désordres notables. Les arcs extradossés, suivant la méthode romaine et du moyen âge, ont au contraire l’avantage de rendre chaque arche indépendante, d’en faire un cerceau élastique qui peut se mouvoir et osciller entre deux piles sans répercuter cette oscillation plus loin. Nos ingénieurs modernes, mieux avisés, en sont revenus à cette méthode ; mais cela prouve que les constructeurs du moyen âge avaient acquis l’expérience de ces sortes de bâtisses. On pourra leur reprocher d’avoir multiplié les piles et resserré d’autant les voies de navigation ; mais il faut considérer que si les ponts du moyen âge étaient faits pour établir des communications d’une rive d’un fleuve à l’autre, ils étaient aussi des moyens de défense, soit sur la voie de terre, soit sur la voie fluviale, et que la multiplicité de ces piles facilitait singulièrement cette défense. D’ailleurs ces ponts ne s’élevaient pas, comme les nôtres, dans l’espace de deux ou trois ans. La pénurie des ressources faisait qu’on mettait dix et vingt ans à les construire ; dès lors il ne fallait pas que la fermeture d’une arche pût renverser les piles voisines, et celles-ci devaient être assez fortes relativement et assez rapprochées, pour résister aux poussées. C’est la nécessité où l’on se trouvait de bâtir ces ponts par parties qui faisait adopter dans quelques cas la courbe en tiers-point pour les arches, cette courbe poussant moins que la courbe plein cintre.

Le pont de la Calendre, à Cahors, possède des avant-becs en aval comme en amont, et par conséquent des gares flanquantes et d’évitement

  1. De ce châtelet il ne reste que les parties basses.