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à entendre des témoins, lorsque les magistrats d’Avignon intervinrent, disant : Que le sénéchal ne pouvait agir au nom du roi de France dans un lieu qui était du domaine de la juridiction du roi de Sicile, comte de Provence. Rodolphe de Meruel, architecte de la tour de Villeneuve, n’en poussa qu’avec plus d’activité la construction de cette défense, et il ne paraît pas que le roi de France, une fois bien assis sur ce point, ait toléré sur la rive droite du fleuve l’exercice de la juridiction avignonnaise. Cette juridiction fut exercée néanmoins pendant quelque temps dans les îles ; mais après avoir si bien établi ce qu’ils considéraient comme un droit, les officiers du roi de France n’eurent garde de s’arrêter en si beau chemin, et s’opposèrent à tout acte de juridiction dans les îles[1]. Si nous avons rapporté tout au long cette histoire du pont d’Avignon et des bâtiments qui le fermaient du côté de la France, c’est afin de faire connaître que les difficultés opposées par la nature n’étaient pas les seules qu’il y avait à surmonter dans les temps féodaux, s’il s’agissait de bâtir un pont. En effet, les fleuves, et souvent même de minces rivières, formaient la limite entre des territoires appartenant à divers seigneurs, et l’établissement d’un pont détruisait cette limite ; chacun alors cherchait à fermer cette communication d’un territoire à l’autre par un châtelet, ou bien s’opposait simplement à son établissement. La division féodale, bien plus encore que l’impuissance des constructeurs ; devenait un obstacle à l’établissement des ponts.

On ne pouvait établir des forteresses sur les ponts que sur l’autorisation des fondateurs ; mais il faut croire que la nécessité fit souvent enfreindre cette condition, car nous ne connaissons pas de pont important du moyen âge qui ne soit défendu. On ne pouvait non plus y établir des péages que du consentement des fondateurs[2]. Guillaume le Grand, duc d’Aquitaine, par une charte de 998, défend pour toujours de percevoir des péages au passage du Pont royal. « Eudes, comte de Chartres, de Tours et de Blois, fit une défense analogue en 1036. Il déclara qu’ayant fait bâtir un pont à Tours dans le seul but de faire une action méritoire pour le salut de son âme, il ne voulait pas qu’il y fût perçu des droits d’aucune espèce[3]. » Il n’entrait vraisemblablement pas dans la pensée des fondateurs du pont d’Avignon d’y établir des défenses, au moins du côté de la rive droite, et cependant nous voyons qu’un siècle

  1. Archives municipales d’Avignon ; procès du Rhône, t. I, p. 65. Nous devons ces renseignements au savant archiviste de la préfecture de Vaucluse, M. Achard, qui possède sur Avignon et le comtat Venaissin des notes précieuses dont il a bien voulu nous permettre de faire usage.
  2. « Une charte », dit M. A. Champollion-Figeac, dans son recueil intitulé Droits et usages (Paris, 1860), « une charte de l’empereur Frédéric, de l’année 1158, et un acte relatif à l’abbaye de Saint-Florent (coll. de Camps), de l’année 1162, pour un pont bâti sur la Loire, constatent encore ces deux faits » (la défense d’élever des forteresses sur les ponts ou d’y percevoir un péage quelconque sans autorisation des fondateurs)…
  3. Ibid., p. 125.