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raient tirer de cette nécessité, au point de vue de la décoration des édifices, et ils ne tardèrent pas à imaginer les plus belles et les plus gracieuses combinaisons pour satisfaire à cette partie du programme imposé aux constructeurs. Ils surent donc composer des pinacles tantôt très-simples pour les édifices élevés à peu de frais, tantôt très-riches, mais toujours entendus, comme silhouette et comme structure, d’une façon remarquable.

Parmi les plus beaux pinacles que nous possédons dans nos édifices français du XIIIe siècle, il faut citer, en première ligne, ceux qui terminent les contre-forts de la cathédrale de Reims. Ce sont là de véritables chefs-d’œuvre de composition et d’exécution. On conçoit combien il est difficile de poser des édicules au sommet d’un monument, et de les soumettre à l’échelle adoptée pour l’ensemble, de ne point tomber dans la recherche et le mesquin. Tout en donnant à ces couronnements une extrême élégance, l’architecte de Notre-Dame de Reims a su les mettre en harmonie parfaite avec les masses énormes qui les avoisinent, et cela en les accompagnant de statues colossales qui présentent, tout le long de la nef et du chœur, une série non interrompue de grands motifs occupant le regard et faisant disparaître ce qu’il pourrait y avoir de grêle dans ces piramides à jour et dentelées.

Voici (fig. 4) un dessin perspectif de ces pinacles. Le calme et la simplicité de la composition n’ont pas besoin de commentaires pour être appréciés ; le croquis que nous donnons, si loin qu’il soit de l’original, fait ressortir les qualités essentielles de l’œuvre. Observons comme, dans ce détail purement décoratif, l’architecte a su éviter les banalités. Dans les parties décoratives de l’architecture, depuis l’époque de la renaissance, et plus particulièrement de nos jours, on a su si bien familiariser nos yeux avec ce que nous nommerons les chevilles de notre art, que nous avons perdu le sentiment de ce qui est vrai, de ce qui est à sa place, de ce qui est orné, en raison du lieu et de l’objet. Que voyons-nous ici dans cet immense appendice décoratif qui n’a pas moins de 24 mètres depuis la gargouille jusqu’au fleuron supérieur ? 1o Une pile ou culée puissante, pleine de A en B, destinée à contre-buter la poussée de l’arc-boutant inférieur dont la pression oblique agit avec plus d’énergie que celle du second ; 2o de B en C, une pile évidée, suffisante pour contre-buter la poussée du second arc-boutant, à la condition que cette pile évidée sera chargée d’un poids considérable ; celui de la piramide CD ; 3o en avant de la partie du contre-fort évidé, deux colonnes monolithes qui raidissent tout le système de la structure, et sous cet évidement destiné à donner de la légèreté à cette pile énorme, une statue abritée, composée de telle façon que les lignes des ailes viennent rompre l’uniformité des lignes verticales ; 4o le poids de la piramide, accusé aux yeux par les quatre piramidions d’angle en encorbellement. En tout ceci, rien de superflu, rien qui ne soit justifié ou calculé. Dans toutes les parties, la construction parfaitement d’accord avec la décoration et l’objet ; construction savante d’ailleurs et n’étant nulle part en contradiction avec la forme.