Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 7.djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[pierre]
— 127 —

chéneau, elle tend à absorber une certaine quantité de l’eau qui coule dans sa concavité. La pierre a, séchée par l’air, tend à son tour à demander au chéneau une partie de l’eau qui l’a pénétré ; cette eau agira dans le sens des flèches, c’est-à-dire qu’étant plus abondante, moins rapidement séchée au cœur de la pierre a qu’à sa surface, elle dissoudra les sels intérieurs qui viendront se cristalliser sur les parements et les feront lever d’abord en fine poussière, puis par écailles. Mais si entre ce chéneau B et la pierre sous-posée nous interposons un corps imperméable C, cette pierre sous-posée sera, comme dans le cas précédent, lavée à l’extérieur par la pluie ou humectée par les brouillards plus abondamment que son cœur, et les sels ne pourront se cristalliser à sa surface. La pierre de Saint-Leu, le banc royal de Saint-Maximin, qui se conservent pendant des siècles à l’air libre ou en parements parfaitement préservés de toute humidité intérieure, tombent en poussière, posés sous des chéneaux ou des tablettes de corniche de pierre dure qui reçoivent l’eau de pluie et en absorbent une partie. Bien que dans ce cas la pierre dure reste intacte, la pierre au-dessous est rapidement décomposée par les sels qui la traversent et viennent se cristalliser à sa surface ; souvent même la croûte de ces pierres est restée ferme, que la décomposition est fort avancée à un millimètre au-dessous. Soit, par exemple (fig. 3), une tablette de pierre dure A posée sur une corniche B de pierre de Saint-Leu, on verra bientôt la croûte de cette pierre se lever comme des copeaux D, en démasquant l’altération profonde de la sous-surface. Cette croûte même dont se revêtent certaines pierres contribue à hâter le travail de décomposition produit par les sels, en protégeant la sous-surface contre le contact de l’air. Les pores n’étant plus aussi ouverts sur la pellicule externe de la pierre qu’à 1 ou 2 millimètres de profondeur, les sels se cristallisent sous cette pellicule qu’ils ne peuvent traverser, et produisent des ravages dont on ne s’aperçoit que quand la croûte tombe. Les profils employés pendant la période du moyen âge pour les corniches et bandeaux avaient l’avantage de ne point conserver l’humidité et de la renvoyer au contraire rapidement. Aussi les pierres qui recouvrent ces saillies sont-elles réellement protégées, et ne présentent pas les altérations que l’on observe sous les tablettes des corniches de la renaissance ou de l’époque moderne. Les constructeurs du moyen âge avaient si bien observé ces phénomènes de décomposition des pierres, qu’ils ont souvent isolé les chéneaux, soit en les portant sur des corbeaux ou sur des arcs,