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[ogive]
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après les premières croisades, s’emparèrent de l’arc brisé et en firent rapidement une application fertile en résultats. Jusqu’alors, en France, on ne connaissait que la voûte romaine et on s’évertuait à la transformer sans obtenir autre chose que de grossières tentatives accusant un désir de satisfaire à de nouvelles nécessités bien plutôt qu’un progrès. Ne construisant plus en blocages, rarement en brique, la voûte d’arête romaine n’était fermée qu’à la suite de difficultés nombreuses, qu’à l’aide de tâtonnements. Les arêtes saillantes de la voûte romaine moulée sur forme, lorsqu’on voulait les construire en moellon, n’offraient pas de solidité ; on rehaussait les clefs, on cherchait un compromis entre cette forme de voûte et la coupole, afin de donner le moins de saillie possible à ces arêtes[1] que l’on ne savait comment maintenir entre les portions de cylindre ou de conoïdes poussant au vide. On tendait toujours vers la coupole et l’on cherchait, au moyen de cintres permanents, d’arêtes appareillées, dès le commencement du XIIe siècle, à maintenir les lobes des voûtes. Ces arêtes appareillées (arcs diagonaux, arcs ogives) étaient déjà un grand pas de fait.

Les Clunisiens, qui dès le XIe siècle étaient maîtres en l’art de bâtir, et qui avaient formé une école d’architecture déjà brillante à cette époque, furent les premiers qui surent appliquer l’ogive à la construction, non-seulement des arcs mais des voûtes[2]. En relations constantes avec l’Orient, ils en rapportèrent l’arc brisé ; mais ce ne fut que sur le sol français que cet arc détermina une révolution dans l’art de la construction.

En effet, tous les monuments clunisiens et cisterciens bâtis en Palestine avant le XIIIe siècle, et si complètement décrits par M. le comte Melchior de Vogué dans son ouvrage sur la Terre Sainte[3], en adoptant l’ogive pour les arcs, conservent cependant le système de la structure romane, et dans aucun de ces édifices l’ogive n’intervient pour modifier la voûte d’arête romaine, en berceau, ou la coupole. Mais sitôt introduite dans les provinces françaises au nord de la Loire, l’ogive se mêle à la voûte et la modifie. Voici d’abord comment le mélange se fait. Soit (2), une coupole hémisphérique dont nous présentons la projection horizontale en perspective ; inscrivant un carré abcd dans le cercle et élevant deux plans verticaux sur les deux diagonales ad, bc, on coupe l’hémisphère en quatre parties égales abe, ace, cde, dbe. Un plan vertical élevé sur ab coupera l’hémisphère suivant un demi-cercle abf, et en supposant que ce demi-cercle est un arc doubleau plein-cintre, ayant opéré de même sur les quatre côtés du carré, on aura obtenu une calotte

  1. Voyez les voûtes des bas-côtés de l’église de Saint-Martin-des-Champs, à Paris ; celles des bas-côtés de l’église de Poissy, etc.
  2. Les arcs doubleaux de l’église de Saint-Front de Périgueux datent des dernières années du Xe siècle, et sont déjà des arcs brisés.
  3. Les Églises de la Terre Sainte, par le comte Melch. de Vogué. Paris, 1860.