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[menuiserie]
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être fort belles au point de vue de l’art du sculpteur, mais on ne saurait les considérer comme de la menuiserie. Pourquoi faut-il que nous en soyons venus au point d’expliquer ainsi et de revendiquer ces qualités si bien françaises ? Pourquoi sont-elles méconnues, oubliées ?… Ces ouvrages de bois des Arabes, des Orientaux, ont au moins conservé la forme traditionnelle de la véritable menuiserie, et si les artisans n’en comprennent pas et n’en savent plus appliquer la structure, du moins ils en ont respecté l’apparence ; mais on n’en saurait dire autant de la menuiserie italienne, non plus que de celle que l’on fait en France depuis le XVIIe siècle par imitation et, contrairement à notre esprit, éminemment logique[1].

Voici (4) une de ces clôtures en bois de sapin comme on en voit encore dans les provinces de l’Est et sur des vignettes de manuscrits ou peintures du XVe siècle[2]. Le système se compose de tringles de sapin de 18 lignes d’équarrissage (0m,04). Sur les montants A, s’assemblent à mi-bois les écharpes B. Sur celles-ci, les écharpes C, D et E ; sur ces derniers, les montants F, toujours à mi-bois. Tout l’ouvrage est maintenu entre un châssis G, H, I, fait de chevrons de 3 pouces d’épaisseur (0m,08) sur 3 pouces et demi (0m,095). Au droit de chaque assemblage à mi-bois, est une cheville en fer doux K, munie de deux rondelles et rivée. Sur les faces de chaque hexagone, les arêtes sont chanfreinées, ainsi que l’indique le détail L, et dans les triangles à jour M, les arêtes des tringles sont également entaillées de manière à former des étoiles à six pointes, composées de deux triangles équilatéraux se pénétrant. On observe ici que, si le principe est simple, si la matière est commune, la main-d’œuvre prend une certaine importance. En N, nous avons présenté une coupe de la clôture faite sur ab, et en P un détail perspectif du morceau O désassemblé. Il est inutile de faire remarquer la solidité et la parfaite rigidité de ce léger treillis, dont l’effet est très-brillant. Ces sortes d’ouvrages de menuiserie étaient presque toujours peints de couleurs claires, rehaussées de filets bruns ou noirs. Ainsi, dans l’exemple que nous donnons ici, les fonds étaient blancs, les chanfreins des hexagones brun rouge, ainsi que les trois biseaux des étoiles ; celles-ci étaient en outre bordées d’un mince filet noir. Les rondelles et rivets en fer étaient également peints en noir.

Nous pourrions multiplier ces exemples, mais les personnes du métier sentiront tout le parti qu’on peut tirer de ces combinaisons sans qu’il soit nécessaire d’insister.

  1. Nous avons souvent été appelé à démonter des œuvres de menuiserie des XVIIe et XVIIIe siècles. On ne comprend pas comment une sculpture, souvent aussi délicate, une ornementation charmante, s’allie à une structure aussi grossière et peu raisonnée. Les belles stalles de Notre-Dame de Paris, qui datent du commencement du dernier siècle, sont un exemple de cet alliage de moyens barbares masqués sous la plus riche apparence.
  2. Celle que nous donnons ici a été dessinée par nous à Luxeuil.