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quent de les prononcer avec indépendance, s’adressaient à la cour du roi, et demandaient que l’inculpé fut tenu, comme vassal direct de la couronne, de répondre devant elle[1]. »

Grâce à cette intervention du parlement du roi dans les contestations entre vassaux, intervention provoquée par les baillis royaux, un grand seigneur possédant un fief relevant d’un seigneur moins puissant que lui ne pouvait plus y élever une de ces demeures fortifiées qui eut dominé le pays ; il était contraint de se contenter d’un simple manoir, auquel, bien entendu, il donnait, si bon lui semblait, toute l’importance, comme habitation, mais non comme place forte, d’un véritable château. C’est aussi au moment où la féodalité est sérieusement attaquée, c’est-à-dire à dater du règne de Louis IX, que l’on éleva beaucoup de grands manoirs en France. Ces manoirs, bien qu’ils n’eussent pas les signes visibles de la demeure féodale, c’est-à-dire les tours munies, les courtines et le donjon, possédaient, comme fiefs, les droits féodaux, droits de chasse entre autres, car nous voyons presque toujours que des garennes dépendent des manoirs ; or la garenne, comme l’a démontré M. Championnière[2], était le droit exclusif de chasse sur les terres des vassaux et non le droit d’élever, en certains lieux, des lapins. Mais des arrêts du parlement[3] avaient admis en principe que le droit d’établir de nouveaux péages, de nouvelles garennes et de nouveaux viviers[4] n’appartenait qu’au roi. Ainsi d’une part, le roi, par l’organe de son parlement, s’opposait, autant qu’il était possible, à la construction des châteaux fortifiés, et de l’autre refusait la sanction des droits les plus chers aux seigneurs, la chasse et les péages, lorsque ces droits n’étaient pas établis sur une possession antérieure. D’ailleurs, l’acquisition d’un fief ne donnait pas les prérogatives de la noblesse, et si des roturiers achetaient un fief, ou portion d’un fief, ce qui eut lieu fréquemment à dater du XIIIe siècle, ils ne pouvaient y bâtir un château, une demeure fortifiée ; des contestations s’élevaient souvent entre un seigneur et son vassal sur la nature de la construction élevée par ce dernier ; beaucoup de manoirs prétendaient ressembler à des châteaux et tenir lieu de défense, à dater du moment surtout où les grands barons ruinés étaient obligés d’aliéner leurs biens. Ce fut ainsi que pendant les XIVe et XVe siècles, la France se couvrit de manoirs qui pouvaient protéger leurs habitants contre les bandes armées répandues sur le territoire, et que beaucoup de maisons de propriétaires de fiefs devinrent des postes assez bien munis et fermés pour inquiéter le pays et ajouter aux causes de désordre de ce temps.

  1. Les Olim, publ. par le comte Beugnot, t. I, notes, p. 1045. Docum. inéd. sur l’Histoire de France, Ire série, hist. polit.
  2. De la Propriété des eaux courantes. Paris, 1846, p. 86-97.
  3. Voir à ce sujet un arrêt de 1317. Les Olim, t. III, 2e part., 1317, arr. LXV.
  4. Les vivaria ou viaria étaient des lieux clos ou non, dans lesquels étaient élevés des animaux de petite espèce et particulièrement des lapins.