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peu d’éléments, prend un caractère monumental. Savoir mettre de l’art dans un mur en moellon percé de baies, sans décoration aucune, sans procédés de construction dispendieux, en se bornant au strict nécessaire, n’est-ce pas la marque d’un état social très-avancé, au point de vue de l’art, et pouvons-nous en dire autant de notre siècle ? Nous n’ignorons pas que, pour un grand nombre de personnes aujourd’hui, l’art n’est qu’une des expressions du luxe, une superfluité, et qu’en fait d’architecture, une façade qui n’est pas plaquée de colonnes ou de pilastres, de moulures et d’ornements ramassés un peu partout suivant la mode, n’est point une œuvre d’art. Le moyen âge qui a laissé peu de livres ou de discours sur l’art, mais qui était artiste, savait mettre de l’art sur la façade la plus riche et sur le mur de l’humble habitation du citadin d’une petite ville ; il savait aimer et respecter cet art dans ses modestes expressions comme dans ses conceptions splendides. Un siècle qui ne croit plus pouvoir manifester son goût pour l’art qu’en accumulant les ornements, qu’en dépensant des sommes énormes, mais qui dans les œuvres de chaque jour oublie ses principes élémentaires, passe d’un type à un autre, n’a plus d’originalité, ce siècle penche vers le déclin des arts. Quand une époque est descendue à ce niveau inférieur dans l’histoire des arts, peu à peu l’exécution s’appauvrit ; ne trouvant plus à s’attacher qu’à des œuvres privilégiées, elle se retire des extrémités pour concentrer ses derniers efforts sur quelques points ; chaque jour la barbarie gagne du terrain.

On bâtit encore des palais, des monuments où toutes les richesses sont amoncelées sans ordre ni raison ; mais les habitations, les édifices de la petite cité, ne sont plus que des œuvres grossières, ridicules, uniformément vulgaires, et dont les vices de construction feront promptement justice. C’est la seule consolation qui reste, au milieu de ces misères, aux esprits assez préoccupés des choses d’art, pour croire encore que la postérité juge un peu les civilisations d’après leurs monuments. Quand l’art n’est plus qu’une affaire de luxe, le jour de sa proscription est proche. Au moyen âge, la puissance vitale de l’art se manifeste partout ; son expression est un besoin pour tous, grands et petits. Les vieilles maisons qui couvraient encore nos anciennes villes françaises il y a quelques années, et que des besoins nouveaux font disparaître rapidement, en étaient la preuve vivante. Nous ne prétendons pas que l’on doive, aux dépens de la salubrité publique, en présence des développements de la prospérité des classes moyennes, conserver quand même des masures pourries ; mais nous aimerions retrouver aujourd’hui dans nos constructions privées ces instincts d’une population aimant les arts et sachant en répandre partout les véritables expressions. Mais non, ce vieux et riche sang gaulois, qui, après une longue compression, avait pu, vers le XIIIe siècle, circuler librement, porter la vie dans toutes les provinces, couvrir le sol d’édifices de toute nature, originaux, logiques, francs, sans alliages, véritable enveloppe d’une nation pleine de qualités brillantes ; ce sang