Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 6.djvu/239

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[maison]
— 236 —

troisième étage est divisé par une cloison et forme deux pièces. On sent encore, dans cette habitation, l’influence de la petite forteresse privée ; c’était là un reste de ces traditions des municipalités méridionales si fort éprouvées pendant les guerres des Albigeois[1]. Prenons encore dans le nord une maison un peu plus récente, de 1240 à 1250 environ ; cherchons une des plus grandes et des plus riches de cette époque ; allons à Reims, et examinons la maison dite des Musiciens, située dans la rue du Tambour. Cette maison, dont le rez-de-chaussée est fort mutilé, a conservé intact son premier étage sur la voie publique. Au-dessus s’élevait le toit, avec des mansardes dont on ne trouve plus que des traces sous le comble moderne.

La façade de cette maison possède quatre fenêtres hautes et larges au premier étage avec cinq niches dans les trumeaux ; ces niches sont décorées de figures de musiciens assis, plus grandes que nature : le premier musicien, en commençant par la gauche, joue du tambour et d’une sorte de clarinette ; le second joue de la cornemuse, le troisième (celui du milieu) tenait un faucon sur le poing, le quatrième joue de la harpe et le cinquième du violon ; ce dernier est coiffé d’un chapel de fleurs. Voici (11) une travée de cette façade. Des boutiques du rez-de-chaussée indiquées dans notre figure, il ne reste que les petits arcs et un des pieds-droits. Une large porte cochère s’ouvre vers l’extrémité opposée et donnait dans une cour autrefois entourée de bâtiments de la même époque, mais dont on ne trouve que des fragments. Le bâtiment sur la rue est simple en épaisseur, et était, paraît-il, divisé en deux salles à peu près égales. L’escalier tenait aux bâtiments de la cour.

Cette maison appartenait peut-être à la confrérie des ménétriers de Reims qui, au XIIIe siècle, jouissait d’une certaine réputation non-seulement en Champagne, mais dans tout le nord. Comme on peut en juger par l’examen de notre figure, la construction est simple, l’ornementation riche. Les figures sont du meilleur style champenois[2].

Les provinces avaient pour leurs bâtiments privés des écoles d’art différentes comme pour leurs églises et leurs établissements publics ; une maison de la Bourgogne, au XIIIe siècle, ne ressemblait pas à une

  1. Voyez dans l’ouvrage de MM. Verdier et Cattois, l’Architecture civile et domestique, quelques maisons des provinces méridionales, notamment celle du Veneur, à Cordes. On voit sur la façade de la maison Caussade, donnée ici, des anneaux scellés aux jambages des fenêtres pour porter les perches et les bannes, préservatives du soleil.
  2. Plusieurs fois déjà il a été question de démolir cette belle maison, le plus intéressant des édifices civils de Reims. En attendant cette démolition, l’un des propriétaires (car la façade appartient à deux particuliers) a le soin de faire peindre à l’huile tous les deux ou trois ans sa façade, compris les statues. Si cette maison doit être démolie, il serait bien à souhaiter que la façade pût être replacée à Reims même ; certes, le sacrifice minime que la ville s’imposerait alors serait bien largement compensé par l’intérêt que présente la conservation de cette œuvre d’art.