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Lebeuf[1] décrit ainsi le dortoir des religieux de l’abbaye du Val-Notre-Dame, dépendant du doyenné de Montmorency : « Le réfectoir est un assez petit quarré ; il est au-dessous du dortoir, qui est très-clair, et dont la voûte est soutenue par des colonnes ou piliers anciens délicatement travaillés, ainsi qu’on en voit dans plusieurs autres dortoirs de l’ordre de Cîteaux construits au XIIIe siècle ou au XIVe. » Il ne faut pas croire que les dortoirs des religieux fussent disposés comme les dortoirs de nos casernes ou de nos lycées. Ces grandes salles étaient divisées, au moyen de cloisons peu élevées, en autant de cellules qu’il y avait de religieux ; ces cellules ou stalles contenaient un lit et les meubles les plus indispensables ; elles devaient rester ouvertes, ou fermées seulement par une courtine.

Au XVIe siècle, tous les ordres religieux voulurent avoir des cellules ou chambres particulières pour chaque moine, ainsi que cela se pratique dans nos séminaires. Les mêmes habitudes furent observées dans les couvents de femmes. Dès le XIIe siècle cependant, les clunisiens, qui étaient des gens aimant leurs aises, avaient déjà établi des chambres ou cellules distinctes pour chaque religieux, et parfois même ces cellules étaient richement meublées. Pierre le Vénérable s’en plaignait de son temps, et saint Bernard s’élevait avec son énergie habituelle contre ces abus qu’il regardait comme opposés à l’humilité monastique. Aussi les premiers dortoirs des cisterciens semblent avoir été des salles communes garnies de lits, mais sans séparations entre eux.

Voici (1) l’aspect extérieur d’un de ces dortoirs communs : c’est le dortoir du monastère de Chelles (abbaye de femmes) ; il avait été construit au commencement du XIIIe siècle[2] ; le rez-de-chaussée était occupé par des celliers et un chauffoir ; une épine de colonnes supportait la charpente formant deux berceaux lambrissés avec entraits apparents. Dans l’article Architecture Monastique, nous avons eu l’occasion de donner un certain nombre de ces bâtiments ; il paraît inutile de s’étendre ici sur leurs dispositions générales, leur forme et les détails de leur architecture fort simple, mais parfaitement appropriée à l’objet. Ainsi, par exemple, les fenêtres étaient habituellement composées d’une partie supérieure dormante, percée surtout pour éclairer la salle, et d’une partie inférieure pouvant s’ouvrir pour l’aérer (voy. Fenêtre). Si les religieux possédaient chacun une chambre, on n’en donnait pas moins le nom de dortoir au bâtiment ou à l’étage qui les contenait, et particulièrement au large couloir central qui donnait entrée à droite et à gauche dans chaque cellule. Cependant il existait encore, au XVIe siècle, des dortoirs de couvents de femmes disposés comme les chambrées de nos casernes, c’est-à-dire consistant en plusieurs grandes chambres contenant chacune quelques lits. Nous en trouvons la preuve dans le Pantagruel de Rabelais[3]. « Mais,

  1. Hist. du dioc. de Paris, t. IV, p. 213.
  2. Voy. la Monog. d’abbayes. Bib. Sainte-Geneviève.
  3. Liv. III, chap. XIX.