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[fossé]
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environ ; un vallum de cinq mètres de hauteur est élevé en arrière du second fossé. De gros quartiers de rochers sont laissés au fond de ces fossés comme obstacles.

Les fossés des villes gallo-romaines, au moment de l’invasion des barbares, tels que ceux de Sens, de Bourges, de Beauvais, étaient très-larges, et autant que possible remplis d’eau[1]. Les Gaulois avaient d’ailleurs adopté les moyens de défense que les Romains employaient contre eux, ainsi que le constate César lui-même ; ces moyens, ils durent les conserver longtemps. Dans le Roman de Rou, il est question de fossés disposés d’une façon nouvelle, et qui aurait été souvent adoptée au XIe siècle.

« Par tuz li champs ki prof esteint
Par ù Bretuns venir debveient,
Firent fosses parfunt chavées (creusés profondément),
Desuz estreites, dedenz lées (larges) :
La terre ke il fors unt gelée (qu’ils ont jetée dehors)
Unt tute as altres camps portée ;
De virges et d’erbes k’il coillirent,
Li fosses tutes recuvrirent.
Quant Bretun vindrent chevalchant,
Prez de férir, paeenz quérant (cherchant les païens) ;
Par li camps vindrent tresbuchant,
D’un fossé en altre chéant ;
Chaent asdenz, chaent envers,
Chaent sor coste è de travers[2]. »

Comment avait-on pu creuser des fossés plus larges au fond qu’à la crête ? C’est ce qu’il est difficile d’expliquer, à moins de supposer qu’on ait étançonné les parois. Nous voyons que ces fossés sont recouverts de broussailles et d’herbe pour dissimuler leur ouverture.

Les Normands entourèrent leurs fortifications de fossés très-larges et très-profonds, quelquefois avec chemin couvert palissadé au-dessus de la crête extérieure. Les châteaux d’Arques et de Tancarville, et plus tard le château Gaillard, conservent encore leurs fossés taillés dans le roc au sommet de l’escarpement qui sert d’assiette à ces forteresses (voy. Château). Des souterrains également creusés dans le roc conduisent de l’intérieur des châteaux au fond des fossés ; ils servaient surtout à permettre à la garnison de sortir pour attaquer les mineurs qu’on attachait aux bases des remparts et tours ou aux escarpements qui les portaient.

  1. Les fossés de Sens étaient inondés, et d’une largeur de vingt mètres environ.
  2. Le Roman de Rou, vers 6 893 et suiv. Ce stratagème paraît avoir singulièrement plu aux historiens du temps ; car ils l’ont signalé trois fois, savoir : 1o en 992, dans la bataille de Conquereuil, entre Conan, duc de Bretagne, et Foulques, comte d’Anjou ; 2o dans la circonstance présente ; 3o dans une invasion de l’Aquitaine par les Scandinaves, en 1019. (Note de M. Aug. Le Prévost.)