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de la simplicité de ce programme ; elle n’assourdit et n’éclabousse pas, mais elle invite le passant à l’approcher. Il n’est pas nécessaire de recevoir une douche pour s’y désaltérer.

La fontaine du moyen âge est un petit bassin couvert dans lequel on vient puiser en descendant quelques marches, ou une colonne, une pile entourée d’une large cuve et d’un plus ou moins grand nombre de tuyaux qui distribuent l’eau à tous venants. Les bassins entourés de degrés étaient réservés aux jardins, aux vergers. Dans les contes et fabliaux des XIIe et XIIIe siècles, il est souvent question de ces sortes de fontaines[1], et sans sortir du domaine de la réalité, nous voyons encore, en Poitou, en Normandie, en Bretagne et en Bourgogne, un assez grand nombre de ces fontaines placées sur le bord des routes pour les besoins du voyageur. La source est ordinairement couverte par une arcade en maçonnerie, le bassin s’avançant sur la voie comme pour inviter à y puiser ; des bancs permettent de se reposer sur ses bords ; une niche, ménagée au fond de la voûte, reçoit la statue de la Vierge ou d’un saint ; les armoiries du fondateur décorent le tympan de l’arcade ou les parois de la fontaine(1). En dehors du faubourg de Poitiers, le long du Clain, on voit encore une fontaine de ce genre, restaurée en 1579, mais dont la construction remonte au XIVe siècle. Elle tourne le dos à la route, et on arrive à son bassin au moyen d’une rampe établie sur l’une des parois de l’édicule. Les armoiries du donateur sont disposées de façon que de la route et de cette rampe on peut les reconnaître. La disposition de ces fontaines est évidemment fort ancienne ; on y reconnaît la trace de l’antiquité romaine. Un édicule protégeant la source et recevant la divinité qui en est la dispensatrice, une inscription signalant le nom du fondateur à la reconnaissance publique, des bancs pour se reposer, n’est-ce pas là un programme antique ? Mais ces sortes de fontaines ne conviennent guère qu’à la campagne ; dans les villes, sur les places ou les carrefours, il faut que le bassin soit accessible à un grand nombre de personnes à la fois. Il faut que l’on puisse recueillir l’eau, non dans ce bassin qui est troublé par le mouvement des puiseurs, mais à la source même distribuée en un certain nombre de goulottes.

C’est ainsi qu’est disposée la fontaine du XIIe siècle que l’on voit encore à Provins en face de l’hôpital (2). Une vasque hexagone, une grosse colonne dont le chapiteau est percé de trois trous munis de têtes de bronze assez saillantes pour verser l’eau dans les vases que l’on apporte au bord de la vasque, tel est ce petit monument dans sa simplicité primitive. Peut-être, autrefois, le chapiteau était-il surmonté d’une statue ou d’un pinacle, comme certaines fontaines que l’on voit représentées dans

  1. Voir le lai de Narcisse, le lai de l’Oiselet, le Paradis d’Amour ; dans ce dernier fabliau, l’auteur décrit une fontaine cachée dans un jardin. On y descendait, dit-il, par des degrés de marbre auxquels tenait attachée, avec une chaîne d’argent, une tasse d’or émaillée.