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[fabliau]
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quelques paroles pleines de noblesse et de simplicité ; si bien que le mari reste vaincu.

« La dame a tant li respondy :
Par Dieu, sire, ce poise my ;
Et puis qu’il est si faitement,
Je vous affi certainement
Qu’à nul jour mès ne mengeray,
D’autre morsel ne metteray
Deseure si gentil viande.
Or m’est ma vie trop pezande
À porter, je ne voel plus vivre,
Mort, de ma vie me délivre !
Lors est à i cel mot pasmée. »

Ce n’est que lorsqu’elle est au milieu de ses femmes, loin de la scène du tragique banquet, qu’avant de mourir elle exprime en quelques vers les regrets les plus touchants :

« Lasse ! j’atendoie confort
Qu’il revenist, s’ai atendu :
Mais quant le voir ai entendu
Qu’il est mors, pourquoi viveroie,
Quant je jamais joie n’aroie ? »

Parfois une pensée pleine d’énergie perce à travers le murmure discret de la passion dans les poésies françaises du moyen âge. Dans le même roman, lorsque les deux amants vont se séparer, la dame veut que le sire de Coucy emporte les longues tresses de ses cheveux ; lui, résiste :

« He ! dieux, dist li chastelains, dame,
Jà ne les coperés, par m’ame,
Pour moy, se lessier le voulés.
Et elle dist : Se tant m’amés,
Vous les emporterés o vous,
Et avoec vous est mes cuers tous ;
Et se sans mort je le povoie
Partir, je le vous bailleroie. »

Mais nous voici loin du fabliau et de son allure frondeuse. Les arts plastiques sont la vivante image de ces sentiments, tendres parfois, élevés même, sans jamais être boursouflés ; les artistes, comme les poëtes français du moyen âge, sont toujours contenus par la crainte de dépasser le but en insistant ; c’est le cas de suivre ici leur exemple. À la fin du XIIIe siècle seulement, les artistes commencent à choisir parmi ces fabliaux quelques scènes satiriques. Au XIVe siècle ils s’émancipent tout il fait, et ne craignent pas de donner une figure aux critiques de mœurs admises partout sous la forme de l’apologue. Au XVe siècle c’est un véritable déchaînement, et ces sujets grotesques, scabreux, que nous voyons représentés alors, même dans les édifices réservés au culte, ne sont pas le