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que par les personnes qui occupaient ces appartements superposés. À propos de la domination que la reine Blanche de Castille avait conservée sur l’esprit de son fils, Joinville raconte : « Que la royne Blanche ne vouloit soufrir à son pooir que son filz feust en la compaingnie sa femme, ne mez que le soir quand il aloit coucher avec li (elle). Les hostiex (logis)là où il plesoit miex à demourer, c’estoit à Pontoise, entre le roy et la royne, pour ce que la chambre le roy estoit desus et la chambre (de la reine) estoit desous. Et avoient ainsi acordé leur besoigne, que il tenoient leur parlement en une viz qui descendoit de l’une chambre en l’autre ; et avoient leur besoignes si attirées (convenues d’avance), que quant les huissiers veoient venir la royne en la chambre du roy son filz, il batoient les huis de leur verges, et le roy s’en venoit courant en sa chambre, pour ce que (dans la crainte que) sa mère ne l’i trouvast ; et ainsi refesoient les huissiers de la chambre de la royne Marguerite quant la royne Blanche y venoit, pour ce qu’elle (afin qu’elle) y trouvast la royne Marguerite. Une fois estoit le roy de côté la royne sa femme, et estoit (elle) en trop grant péril de mort, pour ce qu’elle estoit bleciée d’un enfant qu’elle avoit eu. Là vint la royne Blanche, et prist son filz par la main et li dist : --Venés-vous-en, vous ne faites riens ci[1]. »

Ces escaliers, mettant en communication deux pièces superposées, n’étaient pas pris toujours aux dépens de l’épaisseur des murs ; ils étaient visibles en partie, posés dans un angle ou le long des parois de la chambre inférieure, et ajourés sur cette pièce. À ce propos, il est important de se pénétrer des principes qui ont dirigé les architectes du moyen âge dans la construction des escaliers. Ces architectes n’ont jamais vu dans un escalier autre chose qu’un appendice indispensable à tout édifice composé de plusieurs étages, appendice devant être placé de la manière la plus commode pour les services, comme on place une échelle le long d’un bâtiment en construction, là où le besoin s’en fait sentir. L’idée de faire d’un escalier une façon de décoration théâtrale dans l’intérieur d’un palais, de placer cette décoration d’une manière symétrique pour n’arriver souvent qu’à des services secondaires, de prendre une place énorme pour développer des rampes doubles, cette idée n’était jamais entrée dans l’esprit d’un architecte de l’antiquité ou du moyen âge. Un escalier n’était qu’un moyen d’arriver aux étages supérieurs d’une habitation. D’ailleurs les grandes salles des châteaux étaient toujours disposées presque à rez-de-chaussée, c’est-à-dire au-dessus d’un étage bas, le plus souvent voûté, sorte de cave ou de cellier servant de magasins. On arrivait au sol des grandes salles par de larges perrons, comme à celles des palais de Paris et de Poitiers, ou par des rampes extérieures comme à celle du château de Montargis (voy. fig. 2). Les escaliers proprement dits n’étaient donc destinés généralement qu’à desservir les appartements privés. Toute grande

  1. Mémoires du sire de Joinville, pub. par Fr. Michel, p. 190. Paris, 1858.