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efforts constants des constructeurs du IXe au XIe siècle, il sortit un art de bâtir nouveau : résultat d’expériences malheureuses d’abord, mais qui, répétées avec persévérance et une suite non interrompue de perfectionnement, tracèrent une voie non encore frayée. Il ne fallut pas moins de trois siècles pour instruire ces barbares ; ils purent cependant, après des efforts si lents, se flatter d’avoir ouvert aux constructeurs futurs une ère nouvelle qui n’avait pris que peu de chose aux arts de l’antiquité. Les nécessités impérieuses avec lesquelles ces premiers constructeurs se trouvèrent aux prises les obligèrent à chercher des ressources dans leurs propres observations plutôt que dans l’étude des monuments de l’antiquité qu’ils ne connaissaient que très-imparfaitement, et qui, dans la plupart des provinces des Gaules, n’existaient plus qu’à l’état de ruines. Prêts, d’ailleurs, à s’emparer des produits étrangers, ils les soumettaient à leurs procédés imparfaits, et, les transformant ainsi, ils les faisaient concourir vers un art unique dans lequel le raisonnement entrait plus que la tradition. Cette école était dure : ne s’appuyant qu’avec incertitude sur le passé, se trouvant en face des besoins d’une civilisation où tout était à créer, ne possédant que les éléments des sciences exactes, elle n’avait d’autre guide que la méthode expérimentale ; mais cette méthode, si elle n’est pas la plus prompte, a du moins cet avantage d’élever des praticiens observateurs, soigneux de réunir tous les perfectionnements qui les peuvent aider.

Déjà, dans les édifices du XIe siècle, on voit la construction faire des progrès sensibles qui ne sont que la conséquence de fautes évitées avec plus ou moins d’adresse ; car l’erreur et ses effets instruisent plus les hommes que les œuvres parfaites. Ne disposant plus des moyens actifs employés par les Romains dans leurs constructions ; manquant de bras, d’argent, de transports, de relations, de routes, d’outils, d’engins ; confinés dans des provinces séparées par le régime féodal, les constructeurs ne pouvaient compter que sur de bien faibles ressources, et cependant, à cette époque déjà (au XIe siècle), on leur demandait d’élever de vastes monastères, des palais, des églises, des remparts. Il fallait que leur industrie suppléât à tout ce que le génie romain avait su organiser, à tout ce que notre état de civilisation moderne nous fournit à profusion. Il fallait obtenir de grands résultats à peu de frais (car alors l’Occident était pauvre), satisfaire à des besoins nombreux et pressants sur un sol ravagé par la barbarie. Il fallait que le constructeur recherchât les matériaux, s’occupât des moyens de les transporter, combattît l’ignorance d’ouvriers maladroits, fît lui-même ses observations sur les qualités de la chaux, du sable, de la pierre, fît approvisionner les bois ; il devait être non-seulement l’architecte, mais le carrier, le traceur, l’appareilleur, le conducteur, le charpentier, le chaufournier, le maçon, et ne pouvait s’aider que de son intelligence et de son raisonnement d’observateur. Il nous est facile, aujourd’hui qu’un notaire ou un négociant se fait bâtir une maison sans le secours d’un architecte, de considérer comme grossiers ces premiers essais ; mais la somme de génie qu’il fallait alors à un constructeur pour