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avant tout présenter des façades symétriques, des cours régulières ; mais, comme il faut dîner, quelque amour que l’on ait pour l’architecture symétrique, l’odeur de la cuisine, le bruit des gens de service se répandent à certaines heures dans une bonne partie des palais. Dans les établissements publics, tels que les hospices, les casernes, les séminaires, les couvents, les collèges, au lieu des vastes salles bien aérées, bien disposées du moyen âge, on en a été réduit à prendre, à rez-de-chaussée ou au-dessous du sol (toujours pour satisfaire aux règles de la belle architecture), une pièce, souvent enclavée, sombre, humide, d’un accès difficile, pour y installer la cuisine et ses dépendances, à la place de ces foyers larges, devant lesquels les viandes rôtissaient en absorbant autant d’oxygène qu’elles en pouvaient prendre ; on a posé des fourneaux propres (dit-on) à toute espèce de cuisson, manières de fours, d’où tous les mets sortent ayant acquis à peu près le même goût. Dans ces laboratoires de fonte, les viandes ne rôtissent pas, elles se dessèchent ; les légumes prennent, en bouillant, une saveur vapide ; l’air manque à ces mets divers, et l’air entre pour une forte part dans leurs qualités nutritives. La chimie déclare qu’un gigot cuit à l’air libre ou dans ces creusets de fonte présente à l’analyse les mêmes éléments ; nous l’admettons : mais notre palais, qui n’est pas chimiste, s’aperçoit d’une grande différence entre l’un et l’autre ; notre estomac digère mal ces viandes cuites à l’étouffée, sèches et sans saveur. Il est vrai que nous pouvons aider à la digestion en allant regarder les belles façades régulières de nos édifices publics, compter le nombre de leurs colonnes, de leurs arcades ou de leurs fenêtres.

Vous, architectes de nos anciens châteaux, de nos vieux hospices, de nos maisons religieuses, que diriez-vous si vous entriez dans la plupart de nos établissements publics, et si vous voyiez comment sont disposés les services les plus essentiels à la vie commune[1] ?

CUL-DE-BASSE-FOSSE, s, m. In-pace. Si nous en croyons la plupart des écrivains qui se sont occupés du moyen âge, qui ont essayé d’en retracer les mœurs, il n’y avait pas un couvent ou un château en France qui ne possédât au moins, dans ses fondations, un cul-de-basse-fosse destiné à renfermer les gens que l’on voulait faire disparaître. Nous avons vu bien des châteaux, bon nombre de monastères, et nous n’avons jamais pu trouver ces sortes de cachots en forme de cul-d’œuf ou de cône renversé, destinés, dit-on, à recevoir des malheureux qui non-seulement se trouvaient ainsi privés de la lumière du jour, mais qui ne pouvaient, au fond de ces fosses, ni s’asseoir ni se coucher. Quand on voulait, pendant le moyen âge, faire disparaître un homme, on le pendait haut et

  1. Puisqu’il s’agit ici de cuisines, il faut bien reconnaître que, dans beaucoup de nos établissements d’instruction publique, dans nos casernes, et surtout dans la plupart de nos séminaires, la vue de ces officines est faite pour ôter l’appétit aux plus affamés.