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suivi dans toutes les provinces du nord et de l’ouest. L’enthousiasme produit de grandes choses, mais il est de peu de durée. C’était un sentiment de réaction contre la barbarie qui avait fait élever les églises abbatiales et les vastes bâtiments qui les entouraient, c’était un désir de liberté et un mouvement de foi qui avaient fait élever les cathédrales (voy. Cathédrale) ; mais, ces moments d’effervescence passés, les abbés comme les évêques ne trouvaient plus qu’un dévouement refroidi ; par suite, des négligences ou des tromperies dans l’exécution des travaux. Avec la noblesse laïque, il n’en pouvait pas être ainsi ; on ne demandait pas aux paysans du dévouement, on exigeait d’eux des corvées régulièrement faites, sous une surveillance inflexible. Cette méthode était certainement meilleure pour exécuter régulièrement des travaux considérables. Aussi ne devons-nous pas être surpris de cette haine transmise de génération en génération chez nous contre les forteresses féodales, et de l’affection que les populations ont conservée à travers les siècles pour leurs cathédrales. À la fin du dernier siècle, on a certes détruit beaucoup d’églises, surtout d’églises conventuelles, parce qu’elles tenaient à des établissements féodaux ; mais on a peu détruit de cathédrales, tandis que tous les châteaux, sans exception, ont été dévastés, beaucoup même avaient été ruinés sous Louis XIII et Louis XIV. Pour nous constructeurs, qui n’avons ici qu’à constater des faits dont chacun peut tirer des conséquences suivant sa manière de voir les choses, nous sommes obligés de reconnaître qu’au point de vue du travail matériel on trouve, dans les forteresses du moyen âge, une égalité et une sûreté d’exécution, une marche régulière et une attention qui manquent dans beaucoup de nos édifices religieux.

Dans la construction des églises, on remarque des interruptions, des tâtonnements, des modifications fréquentes aux projets primitifs ; ce qui s’explique par le manque d’argent, le zèle plus ou moins vif des évêques, des chapitres ou des abbés, les idées nouvelles qui surgissaient dans l’esprit de ceux qui ordonnaient et payaient l’ouvrage. Tout cela est mis bénévolement sur le compte de l’ignorance des maîtres des œuvres, de la faiblesse de leurs moyens d’exécution[1]. Mais quand un seigneur puissant voulait faire construire une forteresse, il n’était pas réduit à solliciter les dons de ses vassaux, à réchauffer le zèle des tièdes et à se fier au temps et à ses successeurs pour terminer ce qu’il entreprenait. C’était de son vivant qu’il voulait son château, c’était en vue d’un besoin pressant,

    sous le nom général de bordiers. Les bordiers étaient assujettis aux travaux les plus pénibles, et entre autres aux ouvrages de bâtiments, tels que transports de matériaux, terrassements, etc. ; en un mot, ils aidaient les maçons. (Voy. Étud. sur la condit. de la classe agric. en Normandie au moyen âge, par Léop. Delisle, 1851, p. 15, 20, 79, 83, et les notes p. 709.)

  1. On ne manque jamais, par exemple, de dire que l’on a mis deux siècles à bâtir telle cathédrale, sans songer que, sur ces deux cents ans, on y a travaillé dix ou vingt ans seulement.