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deux points rapprochés de la paroi extérieure et pratiquent les deux trous BC en les étançonnant avec des potelets, lorsqu’ils mettront le feu à ces potelets, toute la partie EF de la tour tombera en dehors et l’ouvrage sera détruit ; mais si, en employant le même cube de matériaux et en occupant la même surface de pleins, nous avons le soin d’élever, au lieu d’un mur plein, une suite de niches comprises entre des contre-forts intérieurs, comme l’indique le plan G, il y a chance égale pour que le mineur tombe au-dessous d’un vide au lieu de tomber sous un plein, et alors son travail d’étançonnements incendiés ne produit pas de résultats ; mais s’il s’attache sous un plein, celui-ci offrant une épaisseur plus grande que dans le plan A, son travail devient plus long et plus difficile ; les renfoncements H permettent d’ailleurs de contre-miner, s’il travaille au-dessous de ces niches. De plus, les niches H peuvent être étançonnées elles-mêmes, à l’intérieur, de façon à rendre la chute d’une portion de la tour impossible, en admettant même que les trous de mine aient été faits en I et en K, sous les piédroits. Ainsi, déjà vers la fin du XIIe siècle, avec un cube de matériaux égal à celui employé précédemment, et même moindre, les constructeurs militaires étaient arrivés à donner une assiette beaucoup plus forte à leurs ouvrages. De plus, les constructeurs noyaient, dans l’épaisseur des maçonneries, de fortes pièces de bois chevillées entre elles par des chevilles de fer, afin de cercler leurs tours à différentes hauteurs. Le principe était excellent, mais le moyen très-mauvais ; car ces pièces de bois, complètement dépourvues d’air, s’échauffaient rapidement et pourrissaient. Plus tard on s’aperçut de la destruction très-prompte de ces bois, et on y suppléa par des chaînages composés de crampons de fer scellés entre deux lits d’assises (voy. Chaînage).

Il est une remarque que chacun peut faire et qui ne laisse pas d’être intéressante. Les mortiers employés généralement, pendant le XIIe siècle et le commencement du XIIIe, dans les églises et la plupart des constructions religieuses, sont mauvais, manquent de corps, sont inégalement mélangés, souvent même le sable fait défaut et paraît avoir été remplacé par de la poussière de pierre ; tandis que les mortiers employés dans les constructions militaires à cette époque, comme avant et après, sont excellents et valent souvent les mortiers romains ; il en est de même des matériaux. Les pierres employées dans les fortifications sont d’une qualité supérieure, bien choisies et exploitées en grand ; elles accusent, au contraire, une grande négligence ou une triste économie dans la plupart des constructions religieuses. Évidemment les seigneurs laïques, lorsqu’ils faisaient bâtir des forteresses, avaient conservé la méthode romaine de réquisitions et d’approvisionnements que les abbés ou les évêques ne voulaient ou ne pouvaient pas maintenir. Il semblerait que les seigneurs normands eussent été les premiers à réorganiser le système de travail de bâtiments employé par les Romains[1], et leur exemple avait été

  1. En Normandie, il existait, pendant le moyen âge, une classe de paysans désignés